Par Edouard Renière
N.B. : Sauf mention contraire, toutes les illustrations proviennent du RAF Museum
Lors des missions au-dessus de l’Allemagne et des pays occupés de l’Ouest de l’Europe (la zone qui nous intéresse dans la cadre des activités de COMÈTE), les équipages des forces aériennes alliées étaient confrontés à trois possibilités. Soit ils rentraient à la base, blessés ou sains et saufs, ce qu’évidemment tous espéraient, sans se faire trop d’illusions, vu l’étendue des pertes encourues au fil des raids. Soit ils y laissaient leur peau. Ou alors, s’il leur fallait sauter en parachute, c’était ou bien l’arrestation au sol par des troupes allemandes ou des milices à leur solde, ou bien, s’ils avaient plus de chance, la possibilité de pouvoir échapper à l’ennemi et tenter de regagner l’Angleterre, point de départ de toutes les missions, en tout cas jusqu’à la libération de la France et de la Belgique à l’été 1944.
La Royal Air Force (RAF), engagée dans le conflit aérien depuis le début de la guerre en 1939, et l’US Army Air Forces (USAAF), à partir du printemps 1942, n’ont jamais tellement mis l’accent sur une formation suffisamment approfondie du personnel navigant quant aux techniques propres à l’évasion. Si des centaines de milliers d’aviateurs reçurent une formation de base dans ce domaine, l’essentiel de leur instruction portait évidemment sur les tâches premières de chacun d’entre eux, qu’ils soient pilotes, copilotes, navigateurs, bombardiers, opérateurs radio ou mitrailleurs. Peu d’entre eux furent suffisamment informés des multiples dangers potentiels et des moyens et astuces pour les éviter au mieux. Aucune formation, par exemple, ne tenait compte de l’importance d’apprendre par cœur au moins un minimum de phrases usuelles dans la langue des pays concernés (Pays-Bas, Belgique, France).
Au fur et à mesure des développements du conflit aérien, du nombre de plus en plus important d’appareils intervenant dans des raids sur les installations militaires, industrielles et de communications de l’ennemi et, a fortiori, du nombre d’avions abattus, l’aspect particulier des aides à l’évasion retint davantage l’attention des décideurs sans jamais cependant devenir une priorité.
Les problèmes majeurs des équipages pouvant être amenés à devoir échapper à l’ennemi une fois au sol étaient tout d’abord de dissimuler leur parachute et autres éléments de leur équipement pouvant trop attirer l’attention. Ensuite, de se situer géographiquement, de s’orienter de manière à s’éloigner le plus possible des zones à plus forte concentration militaire allemande et à se diriger davantage vers le Sud, avec, pour la majorité d’entre eux, l’Espagne – pays « neutre » - comme ultime but à tenter d’atteindre.
Les équipages de bombardiers de la RAF, volant de nuit de manière, selon les Etats-Majors, à assurer une meilleure couverture des cibles et une moins bonne détection, tant par les chasseurs de la Luftwaffe que par les artilleurs au sol, avaient l’avantage, tombant en parachute ou une fois au sol, d’être moins facilement aperçus par les patrouilles allemandes lancées à leur recherche. L’obscurité étant évidemment un obstacle à leurs possibilités d’orientation, ils attendaient pour la plupart le lever du jour pour tenter de se situer avant de quitter l’une ou l’autre cachette.
Les responsables de l’USAAF, quant à eux, avaient opté pour le bombardement de jour, devant en principe assurer une meilleure visibilité des cibles et donc entraîner moins de victimes civiles grâce à une meilleure précision (ce qui ne s’est malheureusement pas toujours révélé aussi efficace qu’espéré). Les aviateurs américains amenés à sauter en parachute de leur avion condamné ou à le quitter au sol après un atterrissage forcé par exemple, avaient à la fois l’avantage de pouvoir se repérer un peu plus facilement et le gros désavantage de pouvoir mieux être suivis à la trace par l’ennemi, qui n’était jamais très loin du point de chute de leur avion ou de leur parachute.
Les récits d'aviateurs évadés sont truffés d'épisodes souvent tragiques, teintés d'héroïsme, d'efficacité face au danger, d'imprudence et d'insouciance parfois (cf la moindre discipline et une forme de nonchalance souvent attribuée aux américains par rapport à une plus grande rigueur affichée du côté britannique… mais méfions-nous des généralités et de la caricature trop facile dans ce genre de comparaisons…) Il y avait même parfois de l'humour aussi, mais également et surtout, la prise de conscience de la grande majorité des évadés des risques énormes encourus, à la fois par eux-mêmes et par ceux qui, courageusement, dans la mesure de leurs possibilités, avaient décidé de les aider. La grande majorité de ces témoignages des deux côtés de l'Atlantique honorent à juste titre la mémoire de ces nombreux helpers.
Afin de faciliter leur évasion, de multiples moyens furent mis à la disposition des aviateurs partant en mission et ces récits d’évasion font également référence à l’utilisation de cartes, de boussoles, de billets de banque, de divers petits objets destinés à faciliter leur évasion. Nous n’allons pas ici développer l’historique de ce type de matériel, dont l’origine remonte à ce qui avait été fourni à des soldats français susceptibles de devoir s’évader durant la Première Guerre Mondiale (boussoles, cartes géographiques, etc.,.) et dont se sont inspiré les forces armées de la Seconde, surtout du côté allié.
Ce type de matériel devait par définition être peu encombrant, léger, efficace, et de nombreux ingénieurs et chercheurs se penchèrent au fil des ans à le mettre au point et à en perfectionner les divers aspects. Les premiers furent évidemment, dès avant la guerre, et en liaison avec des techniciens et ingénieurs civils, les spécialistes des services secrets britanniques et par la suite plus particulièrement le MI9 (Military Intelligence – Section 9) constitué en décembre 1939, qui fut chargé durant la guerre elle-même de s’occuper des évasions en Hollande, Belgique et France. Des trésors d’ingéniosité furent déployés pour imaginer et ensuite réaliser puis produire, parfois par millions d’exemplaires, ce genre d’articles.
Un des pionniers en la matière fut le britannique Christopher William Clayton-Hutton (1893-1965), pilote durant la guerre 1914-1918 et féru de magie et d’illusion. Parmi ses premières réalisations figure la mise au point, en collaboration avec une firme active dans le textile et une autre dans l’imprimerie, de cartes géographiques imprimées sur de la fine soie blanche, que les aviateurs pouvaient aisément dissimuler dans leur équipement de vol ou sur eux par la suite en cas de besoin. Ces cartes, imprimées des deux côtés, étaient de format carré et leurs dimensions atteignirent jusqu’à 68,5 x 71cm. La soie résistant mieux à l’humidité, ce matériau, facilement pliable, ne faisant pas de bruit au déploiement, remplaça avantageusement les cartes en papier utilisées auparavant. D’autres cartes furent réalisées en rayonne et en papier mousseline. Carte en soie, le côté visible ici montrant une partie de la France, de la Belgique et de l’Allemagne | Clayton-Hutton |
Par la suite, Hutton, avec l'aide d'une firme londonienne réputée dans la fabrication d'instruments, fit réaliser par celle-ci des boussoles miniatures de divers types et destinées à la seule aide à l'évasion. Plus de 2 millions d'exemplaires en furent fabriqués pour distribution principalement aux équipages. Ces boussoles miniature, de diverses formes et grandeurs, étaient dissimulées dans des boutons d'uniforme, dans des porte-plumes, dans des pipes, etc.
Bouton de veste d’uniforme de la RAF ; boussole dissimulée à l’intérieur |
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Des boussoles individuelles furent également distribuées, dont quelques exemplaires ci-dessous :
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Outre ces boussoles à proprement parler, d’autres éléments permettant de s’orienter furent intégrés à divers objets usuels. Il s’agit ici principalement d’aiguilles ou d’objets métalliques aimantés et permettant de trouver le Nord. A titre d’exemple :
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Aiguille aimantée | |
Bouton de pantalon |
Parmi les nombreux autres objets les plus ingénieux les uns que les autres figuraient entre autres des lacets de chaussure spéciaux constitués de fils dentelés pouvant servir de scie ; des bottes spécialement adaptées, dont une partie pouvait être détachée pour en faire ainsi de simples chaussures de marche. Ces bottes incorporaient également une doublure détachable pouvant se transformer en gilet laineux, ainsi que des compartiments secrets dans les talons. Exemples de talons de chaussures ou bottes avec cachette secrète :
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Caoutchouc |
Cuir |
Une des contributions les plus remarquables à toute la panoplie d’aide à l’évasion est sans conteste l’ « escape kit », l’équipement d’évasion, dont « Clutty » Hutton fut l’initiateur et le champion. Le kit fut distribué à chaque aviateur partant en mission au-dessus de l’Allemagne et de l’Europe occupée, à partir de l’automne 1940 aux hommes de la RAF, depuis le milieu de 1942 à ceux de l’USAAF. Différents modèles furent réalisés, en collaboration avec le MIS-X, le pendant américain du MI9, apportant au fil du temps certaines améliorations et adaptations. C'est ainsi que des pochettes continrent plus tard de la gaze, de la morphine et une seringue, un tube de sulfamide, une scie à métaux, davantage de cigarettes, etc.,. Il arrivait souvent que, dans la précipitation à devoir quitter l'avion, des aviateurs oubliaient de récupérer le kit qu'ils avaient déposé quelque part dans la carlingue et beaucoup se mordirent les doigts par la suite pour ce compréhensible moment d'inattention.
Kit d’évasion : |
Contenu de l’ “ESCAPE KIT” de base : |
Outre l’escape kit, chaque membre d’équipage recevait des pochettes avec des cartes, généralement au nombre de trois, ainsi que de l’argent en billets de banque des pays susceptibles de devoir être traversés. A titre d’exemple, au milieu de 1942, cet argent était constitué de billets de francs français (7 de 100 F, 5 de 50 F et 5 de 10 F), de francs belges (3 de 100 F et un de 50 F) et d’un billet de 25 florins hollandais.
Enveloppe de kit d’évasion RAF (pour cartes géographiques) + lame de scie à métaux et bouton dissimulant une boussole |
Pochette pour documents personnels et des cartes géographiques (RAF – ± 1942). |
Pour terminer, signalons aussi qu’à partir d’une date indéterminée, des lexiques multilingues furent distribués à chaque aviateur. En voici un exemple :
Volet «Anglais-Français» d’un dépliant cartonné multilingue Français / Italien / Allemand / Espagnol
(Collection privée Édouard Renière)
Malgré l’existence de ces petits dépliants, la barrière des langues se révéla être un des obstacles les plus importants au cours des évasions, tant dans la communication avec les helpers que, par exemple, lors de voyages « incognito » en transports publics et lors de contrôles, dans la traversée de pays occupés. Ceci se révéla davantage un problème en France, où la connaissance de l’anglais était moins développée qu’aux Pays-Bas et en Belgique. Par ailleurs, la connaissance du français, si elle était un peu plus grande du côté des britanniques et des membres du Commonwealth, notamment des canadiens souvent bilingues, elle faisait surtout défaut, à de très rares exceptions près, du côté américain.
Le texte ci-dessus n’est qu’une courte synthèse d’une partie des objets divers mis à la disposition du personnel volant en mission au-dessus des pays occupés par l’ennemi. Durant plus de 10 ans, le Britannique Phil FROOM, passionné par le sujet, a effectué des recherches approfondies, consulté les sources les plus diverses au Royaume-Uni, noué des contacts, notamment aux Etats-Unis et en Australie, avec des collectionneurs, des musées, des historiens et a pu finalement, en fin 2015, publier son monumental ouvrage, "EVASION & ESCAPE DEVICES – Produced by MI9, MIS-X, and SOE in World War II", édité par Schiffer Publishing, Ltd.
C’est très vivement que nous recommandons la lecture du livre de Phil FROOM à tous ceux qui souhaiteraient approfondir leur connaissance de ce sujet, qui couvre un aspect finalement très peu connu de la 2ème Guerre mondiale. Avec plus de 600 illustrations, la grande majorité d’entre elles en couleur, le livre, unique en son genre, retrace les origines et le développement des services secrets ; l’historique des problèmes et des solutions apportées dans tous les aspects de l’aide à l’évasion (pour échapper à la capture ou s’évader d’un camp de prisonniers); le rôle décisif joué par des personnages de génie, notamment Christopher Clayton-Hutton ; l’ingéniosité dans la conception, la mise au point, la fabrication et la diffusion, dans le plus grand secret, d’une quantité invraisemblable d’objets et de documents d’une incroyable variété.
L’ouvrage regorge de détails sur ces différents objets. Compas, cartes, kits de survie, lexiques en langues étrangères, photos pour faux documents d’identité ; articles de toilette, de couture, de fabrication de radios ; jeux divers dissimulant des cartes, compas, etc. à l’usage de prisonniers échafaudant des tentatives d’évasion de camps, tout est minutieusement expliqué, avec force détails, illustrations à l’appui. Les nombreuses annexes en fin de volume font entre autres la synthèse de tout ce qui a été conçu et réalisé, en quelles quantités, par quelles firmes. Elles mentionnent également les noms des responsables des différentes sections du MI9, de même que la liste des opérations de récupérations de militaires évadés via la Bretagne par bateaux MTB de la Royal Navy (comme beaucoup d’aviateurs ayant une page sur le présent site, confiés en France par Comète à d’autres organisations, comme la ligne Shelburne par exemple.)