Par Victor Schutters
A partir de décembre 1944, les autorités britanniques créent des bureaux à Paris, à Bruxelles, en Hollande (en 1945), en Italie, en Grèce et dans les Balkans. Ceux-ci étaient destinés à interroger les personnes venues en aide aux aviateurs évadés britanniques et américains, afin de récolter les témoignages relatifs à l'aide qu'elles avaient apportée. Ceci se fait avec l'approbation du "Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force" (SHAEF) et en concertation avec les services secrets des pays occupés concernés.
Plusieurs milliers de "questionnaires for helpers" sont ainsi remplis par les anciens membres des réseaux d'évasion. A l'époque on parle encore d'organisations, le terme "réseau" n'apparaissant qu'en fin de conflit. Dans le cas où le "helper" a été exécuté par l'occupant ou est décédé au cours de sa déportation, son ayant-droit (conjoint ou autre membre de la famille) est sollicité pour rendre compte de ses activités.
Ces questionnaires reprennent les coordonnées de l'intéressé(e), sa situation familiale, sa profession, le ou les groupes de Résistance auxquels il/elle avait appartenu. Viennent ensuite les noms, adresses et fonctions exercées des personnes avec lesquelles il/elle a aidé les aviateurs. Une explication succincte de ses propres activités ainsi que l'identification des aviateurs qu'il/elle avait pris en charge terminent le formulaire.
Dans la mesure du possible, ces informations sont ensuite recoupées avec les déclarations des autres membres du réseau avec lesquels le/la déclarant(e) avait travaillé. Comme nous le verrons ci-après, les rapports des aviateurs présumés aidés viennent ou non confirmer leurs dires.
Il faut tenir compte ici du fait qu'aussi bien les aviateurs que leurs "helpers" ont des difficultés pour se souvenir des noms et des adresses demandés, et qui plus est, pour les orthographier correctement. Pour des raisons de sécurité, beaucoup d'entre eux se refusaient de prendre la moindre note ou même de retenir certains noms. Personne ne pouvait en effet savoir s'il résisterait à la torture et certains préféraient pour cette raison ne pas mémoriser certaines informations.
Soit dit en passant, cette règle de sécurité était d'ailleurs officiellement connue des équipages, et les logeurs étaient très souvent mis en garde.
Le but des entretiens réalisés par les bureaux de Paris et de Bruxelles était de pouvoir procéder de manière équitable au remboursement de dépenses supportées pour l'aide fournie aux évadés : habillement, nourriture, logement, transport, etc. Une estimation de ces frais est faite en se basant sur les prix en vigueur à l'époque, dans la région concernée.
Il s'agissait aussi de déterminer si les activités de la personne interrogée étaient particulièrement risquées et méritoires, afin de pouvoir faire l'objet d'une proposition pour l'octroi de distinctions honorifiques.
Lorsque le soutien de famille était décédé, les autorités britanniques et américaines se sont engagées à payer à sa veuve une somme forfaitaire correspondant approximativement à la somme qui était accordée aux veuves des militaires alliés morts au combat, mais variant toutefois en fonction des circonstances particulières de chaque cas.
Pendant les années 1941 à 44, les services britanniques et américains ont, sur base de rapports rédigés par leurs ressortissants évadés, établi une liste de quelques 8.000 "helpers".
Les rapports en question étaient les "SPG" ou "Special report, Prisoner, Germany" pour les Britanniques et les "E&E" ou "Escape and Evasion reports" pour les Américains.
En ce qui concerne les SPG, les termes "Prisoner" et "Germany" utilisés ne sont bien évidemment pas appropriés à tous les évadés, car tous n'avaient pas été faits préalablement prisonnier de guerre. Cela est sans doute dû au fait que le même type de rapport fut utilisé tant pour les évadés que pour les prisonniers de guerre (Prisoner of War ou "PoW").
Quant à la dénomination des rapports américains, elle s'explique par la distinction faite par les Britanniques entre un "escaper" et un "evader". Le premier étant celui qui est parvenu à s'échapper après avoir été fait prisonnier par l'ennemi alors que le second n'a jamais été arrêté.
Les rapports des aviateurs permettent d'une part de vérifier les déclarations des personnes qui leur étaient venues en aide et d'autre part de retrouver celles qui ne s'étaient pas fait connaître.
De nombreux "helpers" ont, par exemple, œuvré à la fois en Belgique et en France. Seuls les services secrets correspondant à la nationalité de l'intéressé(e) étaient en mesure de déterminer pour quel pays il/elle avait travaillé. Les paiements sont effectués par le gouvernement britannique, américain et de celui du "helper" concerné, au prorata d'un tiers chacun. Avant de procéder au paiement d'une compensation, toutes les déclarations sont donc examinées et approuvées conjointement par les Britanniques, les Américains, les Français, les Belges, etc.
La collecte des informations quant aux activités des personnes qui sont venues en aide a permis la création d'une échelle barémique composée de cinq groupes ou grades devant correspondre au service rendu et visant à récompenser chacun d'une manière relativement équitable.
Notons que les nombres de personnes mentionnés ci-après comme faisant partie des différents groupes concernent tous les réseaux d'évasion et ne se limitent donc pas uniquement à Comète.
Les cinq groupes ou grades sont les suivants :
Grade 1 : Il est attribué aux personnes qui se sont particulièrement distinguées par leur courage ou qui dirigeaient un réseau d'évasion. Seulement cinq à dix personnes y sont probablement inclues en Europe occidentale.
Grade 2 : Il est attribué aux chefs des organisations ou aux personnages clés qui ont permis le retour en Angleterre d'au moins quarante à cinquante évadés. Il peut également concerner des personnes ayant posé des actes particulièrement héroïques. Septante-cinq personnes, tout au plus, ont vraisemblablement bénéficié de ce grade.
Grade 3 : Il est décerné aux personnes qui ont hébergé vingt à quarante évadés ou qui en ont guidé un grand nombre. Il est aussi attribué à certains chefs de section ou de petites organisations. Deux cents à quatre cents personnes sont probablement concernées.
Grade 4 : Il regroupe les personnes qui ont hébergé, plus d'une nuit, entre huit et vingt évadés ou qui ont assuré des convoyages sur de longues distances ou dans des zones particulièrement dangereuses.
Grade 5 : Il concerne la majorité des "helpers" tels que ceux qui sont venus en aide à un seul évadé, qui ont recueilli un aviateur peu après son atterrissage ou qui ont aidé six à sept hommes pendant de courtes périodes.
Toutefois, il est également tenu compte du fait que le "helper" a été arrêté ou déporté, ainsi que de la durée de sa captivité. Cela pouvait le cas échéant le faire monter au grade supérieur, en passant par exemple du grade 5 au grade 4. Dans tous les cas de figure, la priorité est donnée à l'importance de l'aide fournie.
Il revenait à chaque pays concerné de décerner les récompenses et distinctions honorifiques qui lui semblaient méritées. Ceci venait après concertation entre les bureaux britannique, américain, et français, belge, hollandais ou autre. Le grade octroyé correspondait très souvent aux distinctions honorifiques nationales.
Outre les personnes auxquelles est attribué un des cinq grades, il y avait encore une catégorie de helpers qui étaient intervenus de manière plus modérée en courant peu ou pratiquement pas de risques. Il s'agissait par exemple du coiffeur qui s'était rendu dans une maison où logeaient des aviateurs évadés afin de les coiffer ou du voisin qui leur apporta une livre de beurre. Une lettre exprimant les remerciements des trois bureaux décernant les récompenses leur fut envoyée par l'un d'eux.
Ce genre de récompense, qui se présente sous forme d'une sorte de diplôme, est encore appelé "Lettre de Remerciement" (Letter of Thanks). Il en existe plusieurs sortes.
Merci à Peter Verstraeten pour nous avoir fourni des documents provenant des Archives Nationales du Royaume-Uni, sises à Kew, en Angleterre et qui nous ont aidé dans la rédaction du présent texte.