LES AVIATEURS AIDES PAR COMETE ET
LE CONTEXTE STRATEGIQUE DANS LEQUEL ILS FURENT IMPLIQUES

Écrit par Édouard Renière et Victor Schutters

Les origines

Durant la Première Guerre Mondiale, la guerre aérienne était surtout une affaire de pilotes de chasse. Lorsque les Allemands bombardèrent Londres, d’abord avec des dirigeables ("Zeppelins"), puis, en 1917, avec des bombardiers bimoteur Gotha, tuant près de 1400 civils, l’Air Marshal Hugh Trenchard, fondateur de la RAF (Royal Air Force), envoya des quadrimoteurs Handley Page pour bombarder des villes de Rhénanie, dont Cologne. Dès la fin des hostilités, beaucoup de spécialistes commencèrent à considérer la suprématie de l’espace aérien comme le meilleur moyen d’éviter des conflits de longue durée et des boucheries sur des champs de bataille. L’Italien, le Général Giulio Douhet et l’Américain William "Billy" Mitchell proposèrent dans des ouvrages et lors de conférences, de raccourcir les guerres en appliquant les avancées technologiques dans le domaine de l’aviation et de son armement, évitant ainsi les désavantages de conflits statiques causant d’énormes pertes parmi les troupes au sol, d’un côté comme de l’autre.

Selon Douhet, les cibles premières devaient être non pas les armées au sol de l’ennemi, mais bien ses principales cités industrielles, arguant que "les coups décisifs seront assénés aux civils, cet élément des pays en conflit le moins à même de les supporter." Plus modéré, Mitchell, bien que persuadé que des bombardements stratégiques permettraient une fin plus rapide des hostilités, se fit le promoteur de sa conviction qu’une force aérienne massive composée de bombardiers frappant l’ennemi - son économie et sa population - pourrait amener à la fin rapide d’une prochaine guerre avant que l’infanterie et les forces navales aient l’occasion d’entrer dans le conflit. Bien qu’incrédules et réticentes au début, les autorités civiles et militaires des deux côtés de l’Atlantique finirent par se laisser convaincre au fil du temps de développer des programmes d’étude et de construction d’appareils permettant de créer des forces aériennes capables de gagner une "guerre rapide"…

L’Allemagne nazie, de son côté, contrevenant à l’interdiction par le Traité de Versailles de se remilitariser après la guerre 1914-1918, mit au point à partir du début des années 1930, en secret, une aviation moderne, axée, elle, principalement sur des bombardiers légers, capables d’appuyer des forces au sol dans une conception différente de guerre "éclair". Au cours de cette décennie, l’Allemagne et l’Italie utilisèrent des bombardiers en piqué pour terroriser les populations civiles en Espagne (Guerre Civile 1936-1939) et en Afrique du Nord, le Japon agissant de même en Chine.

Les Bomber et Fighter Commands de la RAF

Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en septembre 1939, qui provoqua l’entrée en guerre de la France et de la Grande-Bretagne, il s’avéra que l’Armée de l’Air Allemande ("Luftwaffe"), rodée par ses opérations en Espagne et possédant des pilotes chevronnés, utilisait avec efficacité l’arme aérienne par des attaques ciblées, appuyant son infanterie et ses chars dans la fameuse notion de guerre-éclair ("Blitzkrieg"), des bombardiers attaquant des objectifs stratégiques, comme les ponts et les voies de communication, compliquant les mouvements de l’ennemi. Les forces aériennes françaises et britanniques, sous-équipées, n’étaient pas de taille à l’époque pour opposer beaucoup de résistance et ce n’est qu’à partir de fin 1939-début 1940 que fut décidé un développement accru de la production aéronautique, essentiellement au Royaume-Uni. Heureusement, la Grande-Bretagne possédait déjà à cette époque deux très bons monoplans de chasse, le Hawker Hurricane et le Supermarine Spitfire. (Des photos de ces types d’appareils, ainsi que d’autres cités dans nos pages sont repris tout au bas de cet article) L’Allemagne envahit les Pays-Bas, la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg au début de mai 1940 et le 22 juin est signé l’armistice qui établit l’occupation par l’Allemagne des trois cinquièmes de la France, le gouvernement français restant maître de la zone libre où le Maréchal Pétain instaure le régime de Vichy. Cette collaboration avec l’Allemagne s’organise, une résistance intérieure se développant par la suite.

La Grande-Bretagne, se trouvant désormais seule à combattre, subit alors des raids aériens massifs de la Luftwaffe sur ses sites industriels et portuaires, Hitler envisageant d’envahir également ce pays après l’annihilation de sa résistance aérienne. Ce dernier objectif étant celui du Maréchal Hermann Goering, chef de la Luftwaffe, qui se faisait fort d’atteindre ce but en quelques semaines. Malgré leur manque d’effectifs et d’appareils, en comparaison avec la puissance aérienne allemande, les courageux pilotes de chasse du Fighter Command de la RAF (QG à Bentley Priory, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Londres), appuyés par des escadrilles de bombardement envoyées sur les bases aériennes allemandes en France et en Belgique occupées, réussirent à faire échouer les plans d’invasion terrestre par les Nazis. La Luftwaffe n’était pas parvenue à s’assurer la maîtrise des airs durant cette période allant de juillet à septembre 1940, grâce aux efforts et aux sacrifices de membres du Commonwealth (Irlande, Australie, Canada, Afrique du Sud, Jamaïque, Nouvelle-Zélande) ainsi que de nombreux aviateurs venus de Tchécoslovaquie, Pologne, France et de Belgique. Après que des bombes furent lâchées sur Londres le 25 août 1940, suite à une erreur de navigation, le Premier Ministre Britannique Winston Churchill autorisa le bombardement de Berlin par le Bomber Command (voir ci-dessous). Il fit peu de dégâts mais rendit Hitler furieux, au point d’ordonner à sa Luftwaffe de raser des villes en Grande-Bretagne, ce qui entraîna le "Blitz" (éclair), qui dura du 7 septembre 1940 au 21 mai 1941. Londres, Coventry, Plymouth, Birmingham, Liverpool et de nombreuses autres villes furent bombardées, faisant près de 15000 civils tués et plus de 20000 blessés. Cette tentative de démoralisation de la population ne fonctionna pas et n’empêcha pas les Britanniques de soutenir l’effort de guerre du pays.

Le RAF Fighter Command avait à sa tête l’Air Chief Marshal Hugh C. Dowding lors de la Bataille d’Angleterre, remplacé en novembre 1940 par l’Air Marshal Sholto Douglas. Celui-ci fut lui-même remplacé par le Commander-in-Chief Trafford Leigh-Mallory en novembre 1942.


Trafford Leigh-Mallory

Le Quartier Général du RAF Fighter Command coordonnait toutes les opérations d’attaque et de défense par les différents Groupes et Escadrilles de chasseurs et chasseurs-bombardiers. Ces opérations étaient le plus souvent ponctuelles et n’engageaient jamais autant d’appareils que les missions de bombardement du Bomber Command. En novembre 1943, le Fighter Command fut subdivisé en 2 unités : Air Defence of Great Britain (son rôle principal : la défense du territoire) et la Second Tactical Air Force (support des forces au sol en prévision des opérations visant à la libération des territoires occupés d’Europe Occidentale). En octobre 1944, alors que l’ entrée des troupes alliées en territoire allemand s’annonçait, le Fighter Command reprit son nom.

Pour ce qui est du Bomber Command, son quartier général où furent organisées toutes les opérations de bombardement de la RAF, se trouvait à Uxbridge avant d’être transféré dans le courant de 1940 à High Wycombe, à quarante-cinq kilomètres à l’ouest de Londres. La très secrète "Operations Room" (Salle des Opérations) s’y trouvait en sous-sol. Le Bomber Command fut dirigé d’abord par l’Air Chief Marshal Edgar Ludlow-Hewitt, avec six groupes de bombardement organisés en escadrilles en septembre 1939. Il fut remplacé le 4 avril 1940 par l’Air Marshal Charles Portal, lui-même remplacé au début de février 1942 par l’Air Marshal Arthur Traver Harris. Ce dernier tint ce poste jusqu’en 1945, appliquant dès son accession, une stratégie de bombardement par zones ("carpet bombing") qui lui valut le surnom de "Bomber Harris" et, parfois, au sein même de la RAF, de "Butcher Harris"…


Arthur Traver Harris

Au début et jusqu’à la fin de 1939, les missions de bombardement de la RAF se firent de jour, de manière notamment à pouvoir mieux localiser les cibles et apporter davantage de précision aux bombardements. Cependant, étant donné la trop grande visibilité des formations par la chasse ennemie et les batteries de défense anti-aérienne (la Flak, abréviation de Flugzeugabwehrkanone), le taux trop élevé d’avions abattus et d’équipages perdus, tués ou blessés, entraîna la décision par l’Etat-Major de ne plus effectuer d’opérations que durant la nuit. Ceci modifia la donne : les problèmes de la défense ennemie durent faire place à la navigation de nuit et à la meilleure localisation possible des objectifs. Il était en effet courant au début de la guerre que des escadrilles de bombardiers, faisant confiance à une navigation à l’estime, ratent totalement leur cible. Des rapports d’analyse de photographies et d’autres sources, publiés en août 1941, indiquaient que moins d’une bombe sur dix tombait à environ 8 kilomètres de sa cible. Il devenait donc urgent de développer des moyens fiables de navigation de nuit.


L’Operations Room du RAF Command

Dans l’Operations Room, l’évolution des dégâts infligés aux villes et aux complexes industriels allemands était représentée sur de grandes cartes où de petits drapeaux rouges épinglés, indiquaient les dépôts de carburant, les usines, les nœuds ferroviaires et autres objectifs qui n’avaient pas encore été atteints par la RAF. Au fur et à mesure que les installations étaient détruites, les petits drapeaux rouges étaient remplacés par d’autres de couleur noire. A leur retour à l’aube, les pilotes rendaient leur rapport au service de renseignements du Bomber Command en y mentionnant les objectifs atteints et les résultats obtenus. Cependant, toutes les bombes n’atteignaient pas leur but et les membres des équipages des bombardiers n’étaient pas toujours en mesure de juger si les objectifs avaient effectivement été touchés.

Ainsi, les renseignements fournis aux correspondants de presse démontraient dans certains cas que les informations que l’on pouvait entendre à la BBC et lire dans la presse ne correspondaient pas toujours à la réalité et que par exemple, le dépôt d’essence soi-disant détruit était encore intact et que les dégâts étaient minimes. Il faut néanmoins ne pas perdre de vue que d’une part, l’enthousiasme des aviateurs pouvait parfois les mener à croire que les objectifs avaient été atteints et que d’autre part, la presse allemande était soumise à la propagande qui visait dans la plupart des cas à minimiser les dégâts constatés sur place. Des erreurs de bombardement eurent lieu tout au long de la guerre et beaucoup de villes en Belgique et en France notamment eurent à en souffrir. Des milliers de civils perdirent la vie, de très nombreuses habitations furent détruites ou fortement endommagées. La proximité d’habitations près des gares et des usines en pays occupés rendait inévitable ce genre de drames mais beaucoup de familles endeuillées eurent difficile à accepter ce lourd tribut payé dans la lutte contre l’occupant et la recherche de la victoire contre la tyrannie.


Briefing d’aviateurs de la RAF avant une mission

Des aviateurs de la RAF examinent les cartes avant une opération

Dès 1941, des raids avaient été entrepris avec régularité contre des villes allemandes telles que Cologne, Aix-la-Chapelle, Francfort, Worms, Nuremberg, Bayreuth, Chemnitz ou Coblence mais par manque de moyens, aucune opération de vraiment grande importance n’avait encore été entreprise. Un rideau d’artillerie anti-aérienne fut levé dans les territoires occupés, tout autour de l’Allemagne ainsi qu’à l’intérieur de celle-ci. De plus, à la moindre alerte, les chasseurs, dont les fameux Messerschmitt Me109, décollaient afin d’empêcher l’ennemi d’atteindre ses objectifs, occasionnant de fortes pertes à l’aviation Alliée.

Au printemps 1942, l’Air Marshall Sir Arthur Travers Harris décida d’entreprendre une action de grande envergure en planifiant une attaque avec non moins de mille avions à l’encontre d’une grande ville allemande. Ce sera l’opération "Millenium". Arthur Harris pensa surtout à Cologne ou à la ville portuaire de Hambourg. Pour justifier son projet d’attaquer une ville allemande avec tant d’avions, il invoqua le fait que la Flak et les chasseurs ne pouvaient abattre qu’une cinquantaine d’appareils par raid. Dans le cas d’un raid avec mille avions, cela ne représenterait donc que seulement cinq pour-cent des bombardiers engagés contre un pourcentage beaucoup plus important de pertes auquel la RAF avait dû faire face lors des missions précédentes.

Le problème fut d’abord de pouvoir rassembler tant d’appareils. On songea alors à accélérer les cadences de production et à réparer presque tous les avions endommagés. Le 27 mai 1942, veille de l’exécution du raid prévu, 1046 bombardiers furent rassemblés sur plusieurs aérodromes britanniques. En raison de conditions météorologiques défavorables au-dessus de l’Allemagne et de l’Angleterre, l’opération fut postposée à la nuit du 30 au 31 mai. Étant donné qu’il y avait beaucoup de nuages au-dessus de Hambourg cette nuit-là, ce fut Cologne, plus proche, qui fut désignée comme objectif. Le bombardement débuta à 00h55 par l’arrivée de la première des vagues de bombardiers qui allaient se succéder durant plus d’une heure. Les pertes furent finalement moins importantes que prévues puisqu’elles ne s’élevèrent qu’à "seulement" 43 appareils.

La nuit suivante, la RAF envoya 956 bombardiers sur la ville industrielle de Essen, mais avec moins de succès que la veille, beaucoup d’équipages bombardant par erreur d’autres villes.

A gauche, un tract de propagande avec le visage de Hermann Göring.

Lorsque des avions étaient abattus au-dessus de l’Allemagne, les membres d’équipage qui n’avaient pas été tués, avaient peu de chances d’échapper à la capture. Par contre, les aviateurs atterrissant en parachute ou faisant un atterrissage d’urgence aux Pays-Bas, en Belgique, au Grand-Duché de Luxembourg ou en France, pouvaient généralement compter sur l’assistance de la population, majoritairement anti-allemande, et ainsi dans beaucoup de cas échapper à l’arrestation et l’envoi en camps de prisonniers.

Les premiers évadés aidés par Comète furent quelques soldats Britanniques et civils belges souhaitant rejoindre l’Angleterre. Le premier aviateur fut John Ives (RAF), abattu dans son bombardier Whitley dans la nuit du 18 au 19 août 1941 lors d’une opération sur Cologne. Quelques autres membres de la RAF seulement, impliqués dans des missions sur la France, furent convoyés vers l’Espagne en décembre et janvier 1942, mais la tendance s’accentua dès le mois de mai 1942, avec le raid sur Cologne et par la suite sur d’autres objectifs de plus en plus nombreux de la RAF, notamment sur le territoire allemand.

Nous ne reprendrons pas ici la chronologie des évasions, réussies ou non. Les dates des opérations aériennes après lesquelles Comète fut amenée à intervenir étant reprises à la page des missions chronologiques.

Les Pathfinders

Au cours de tout l’été 1942, la RAF poursuivit ses frappes. Jusqu’à la fin de cette année, les Britanniques réalisaient d’énormes progrès, surtout en ce qui concernait la précision des bombardements. L’Air Vice-Marshal et colonel-aviateur Donald Bennett, un volontaire australien engagé dans la RAF qui possédait une grande expérience en matière de bombardiers, proposa de créer un poste de commandement qui aurait pu arriver dans la zone de l’objectif au cours des bombardements et donner les instructions nécessaires aux escadrilles qui les suivraient.

Bennett affirmait qu’il serait plus efficace d’envoyer un groupe d’éclaireurs qui pouvaient indiquer aux bombardiers les endroits où ils devaient attaquer. C’est ainsi qu’en août 1942 fut décidé de créer la section Pathfinders. Elle était composée d’équipages qui étaient chargés de localiser l’objectif grâce à l’émission de signaux radio en ondes courtes et à un nouveau système de radionavigation dénommé "GEE". Il s’agissait d’un appareil qui captait un signal synchronisé émis par trois stations radio situées en Grande Bretagne. Le temps écoulé entre chaque signal permettait de mesurer précisément la distance entre l’avion et les stations émettrices. Le navigateur pouvait alors calculer sa position par triangulation.

Dès leur arrivée au-dessus de l’objectif, les Pathfinders qui précédaient les autres bombardiers lançaient des fusées lumineuses rouges puis rectifiaient les positions par des vertes disposées en un cercle à l’intérieur duquel les bombes devaient être larguées. Le signal de l’attaque était alors donné par l’un des Pathfinders au moyen d’une "bombe maîtresse", ainsi baptisée par le quartier général de l’aviation.

Une expérience décisive fut tentée le 2 décembre 1942. L’objectif était Francfort et une demi-heure avant le départ des Pathfinders, un Lancaster faisant office de poste de commandement volant décolla. Il devait arriver le premier au-dessus de l’objectif et indiquer l’endroit où les Pathfinders devaient lancer des fusées éclairantes. Une fois la ville éclairée, le bombardier du poste de commandement indiquait par radio où devait être placées les fusées rouges. Les positions étaient ensuite rectifiées au moyen de fusées vertes. Le bombardier du poste de commandement prenait alors de la hauteur au-dessus de l’objectif afin de se rendre compte si les premières bombes tombaient effectivement sur les objectifs désignés et donnait ensuite ses instructions par radio aux pilotes des divers appareils. Son altitude était de l’ordre de 9 000 mètres, ce qui lui permettait de suivre les opérations et d’avertir, le cas échéant, les escadrilles de la présence de chasseurs ou de concentrations de la Flak. Les résultats de cette attaque sur Francfort furent concluants et dès ce moment, chacun fut convaincu que le quartier général pouvait jouer un rôle plus efficace en agissant de la sorte.

Arrivée de l'USAAF

De l’autre côté de l’Atlantique, encore à l’été 1937, l’Air Corps de l’US Army se battait, parfois désespérément, en vue d’obtenir des fonds pour construire davantage de bombardiers B-17, qui avaient été développés entretemps. Plus rapides que les avions de chasse et bien mieux armés, ils étaient considérés comme la meilleure arme de bombardement stratégique. Leurs partisans, devant l’évolution de la situation mondiale (le conflit en Extrême-Orient, les menaces de guerre en Europe, notamment…) s’efforcèrent de convaincre le gouvernement de débloquer des crédits pour renforcer ainsi la composante aérienne de l’Armée. Peu après l’échec à Munich en septembre 1938 des négociations de la France et la Grande-Bretagne avec l’Allemagne nazie, le Président Roosevelt, persuadé dès lors que l’on se dirigeait vers une guerre à plus grande échelle, ordonna la production d’urgence d’un plus grand nombre d’avions, particulièrement de bombardiers lourds du type B-17 ainsi que du B-24 dont le premier modèle avait été également développé entretemps, ce dernier ayant un plus grand rayon d’action et une charge de bombes plus élevée que le B-17. Comme pour d’autres types d’avions, les caractéristiques et l’armement de ces appareils évoluèrent au fil du conflit, plusieurs adaptations et modifications étant développées suite aux expériences de combat.

Avant même l’invasion de la majorité des pays d’Europe Occidentale par les armées allemandes en 1940, une partie importante de cette production d’avions ainsi que d’autres matériels militaires furent livrés à la Grande-Bretagne. Dans le cadre du programme "Lend-Lease" (Prêt-Bail) et de sa loi votée le 11 mars 1941 par le Sénat américain, le Président Roosevelt fut autorisé à "vendre, céder, échanger, louer, ou doter par d’autres moyens" tout matériel de défense à tout gouvernement dont le Président estimait la défense vitale à celle des Etats-Unis. Les principaux bénéficiaires du Prêt-Bail furent le Royaume-Uni et l’Union Soviétique. C’est ainsi que, pour ce qui concerne le Royaume-Uni, des milliers d’avions, chasseurs et bombardiers, furent livrés avant et après l’entrée en guerre des Etats-Unis suite à l’attaque japonaise sur la base navale américaine de Pearl-Harbour le 7 décembre 1941.

Quelques mois auparavant, en juin 1941, les US Army Air Forces furent constituées, acquérant une certaine mesure d’indépendance par rapport aux forces terrestres. La production aéronautique allait croissant et dès le début de 1942 une présence militaire américaine en Grande-Bretagne se concrétisa par l’arrivée d’officiers de l’USAAF, chargés de mettre au point une structure devant accueillir des unités aériennes américaines sur le territoire britannique, sous les ordres du Lieutenant Général Carl A. Spaatz et du Lieutenant Général Ira C. Eaker.


Carl A. SPAATZ et Ira C. EAKER

Initialement placé à High Wycombe près de leurs collègues britanniques de la RAF, le staff américain s’installa par la suite ailleurs dans la même localité, à Dows Hill Lodge. La Eighth Air Force (Huitième Force de l’Aviation Américaine), créée aux États-Unis le 28 janvier 1942, avait planifié une force de 60 Groupes de combat composés de 17 Groupes de bombardiers lourds, 10 de bombardiers moyens et d’autres de bombardiers légers, d’observation, de chasse et de transport - une armada d’environ 3500 appareils qui devaient être disponibles au Royaume-Uni au mois d’avril 1943. D’un nombre plus élevé que l’ensemble des forces aériennes de la RAF dans son propre pays, cette imposante force aérienne américaine allait nécessiter des aérodromes et de nombreuses bases sur le sol britannique. Heureusement, déjà avant Pearl Harbor, des négociations en vue de tel établissement potentiel en cas d’entrée en guerre des USA, avaient abouti à des accords préalables qui firent que sans tarder, le Ministère de l’Air britannique mit en place son plan de construction d’aérodromes supplémentaires. La plupart de ceux-ci furent construits par du personnel britannique et américain dans le sud-est de l’Angleterre, une région connue sous le nom de "East Anglia".

Les premières unités de la 8th Air Force arrivèrent en Angleterre en mai 1942, le premier groupe de bombardement formé peu auparavant étant le 97th Bomb Group qui s’installa à Polebrook. Quelques opérations furent menées par l’US Air Force au départ de l’Angleterre dès le 29 juin, en liaison avec et à bord d’appareils de la RAF. La toute première mission de bombardiers lourds de l’USAAF en Europe Occidentale fut effectuée le 17 août 1942 par 12 B-17 du 97th Bomb Group, l’objectif étant les installations ferroviaires de Rouen-Sotteville, dans le nord de la France. Escortés par des chasseurs de la RAF, la mission fut déclarée comme un succès par ses planificateurs américains, qui tentaient de convaincre leurs homologues de la RAF - ainsi que beaucoup de sceptiques dans les rangs de leur propre armée notamment - que des opérations effectuées de jour, permettaient une plus grande précision ainsi que des résultats meilleurs que les opérations de nuit effectuées par les bombardiers de la RAF. Les membres d’équipage n’apprirent jamais, et les rapports officiels se gardèrent bien de préciser que, tout comme beaucoup de bombardements de la RAF, l’objectif ne fut que partiellement atteint… et que plus de 80 civils français furent tués à Rouen ce jour-là.

D’autres opérations de l’USAAF suivirent, conjointement avec les unités de la RAF et la plupart des missions de bombardement se concentrèrent sur des bases de sous-marins allemands sur la côte Atlantique en France (Lorient, Saint-Nazaire,…)

Raids intensifs sur l’Allemagne

Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1943, la RAF effectue son premier nouveau raid sur Berlin depuis novembre 1941. Le mois de février voit le début de la stratégie de bombardement "round the clock" (24 heures sur 24) sur l’Allemagne et les objectifs militaires et industriels des pays occupés d’Europe Occidentale par l’action conjointe de la RAF et de l’USAAF. Dès la fin du mois, l’USAAF effectue de nouvelles missions de bombardement sur le port de Wilhelmshafen et d’autres installations portuaires et industrielles allemandes.

La Ruhr, région où était concentrée l’industrie de guerre allemande représentait l’objectif principal des bombardiers britanniques et américains. La Bataille de la Ruhr, qui dura cinq mois, démarra dans la nuit du 5 au 6 mars 1943 par un raid de 442 appareils de la RAF sur Essen. Un tiers seulement d’entre eux réussirent à lâcher leurs charges à moins de 5 km du l’objectif, malgré la présence de Pathfinders. 14 appareils furent perdus. Le gros obstacle résidait dans le fait que toutes les villes de la Ruhr telles que Düsseldorf, Essen, Duisburg, Dortmund ou Wuppertal étaient fortement défendues par la Flak. Cela représentait une véritable terreur pour les pilotes et les autres hommes d’équipage, tant de la RAF que de l’USAAF. Certaines villes offrant une résistance plus importante que d’autres, l’expérience et les informations qu’en avaient les aviateurs ne faisaient qu’accroître le suspens auquel ils étaient soumis lorsqu’ils découvraient leur destination peu avant le décollage. Cette Bataille de la Ruhr fut coûteuse en appareils et en équipages et certaines voix se firent entendre du côté américain, doutant que des raids de jour par l’USAAF étaient aussi performants que l’État-major le soutenait. Malgré ces réticences et critiques, le principe fut maintenu et, malgré les pertes, les B-17 et B-24 de la 8th Air Force poursuivirent leurs missions diurnes.


Équipages de bombardiers USAAF au briefing avant une mission

Le 24 juillet 1943, le plan "Gomorrhe" visant à rayer des villes allemandes de la carte au moyen d’actions d’envergure fut mis à exécution. Les conditions météorologiques avaient une grande influence quant au choix des objectifs.

Pour l’opération "Window", ce fut la ville portuaire de Hambourg contre laquelle plusieurs actions avaient déjà été menées auparavant qui fut désignée.

Ainsi, la nuit du 24 au 25 juillet 1943, à 01h00, 801 avions britanniques apparurent dans le ciel de Hambourg. Quelque chose de particulier survint alors car les observateurs allemands ne parvenaient pas à repérer la position exacte de la flotte britannique. Sur leurs radars, les Allemands avaient l’impression que les avions se trouvaient partout en Allemagne et à toutes les altitudes. Ce ne fut qu’au lendemain que les Allemands découvrirent partout de mystérieuses bandelettes de papier d’aluminium. Elles avaient été lancées par paquets de divers avions et étaient tout simplement destinées à détraquer les installations allemandes de radar et de détection. L’opération Window fut un succès car les batteries de la Flak causèrent beaucoup moins de dégâts à leurs adversaires. On décida ensuite de faire précéder chaque raid par un rideau de ces bandelettes métalliques.

Les opérateurs radio devaient alors en jeter un paquet à une minute d’intervalle et les tirs ennemis en étaient à chaque fois perturbés.

La stratégie américaine était différente de celle de la RAF et si déjà au printemps de 1943, l’USAAF avait attaqué la plupart du temps en France, en Belgique et en Hollande, sa tactique visant à se limiter absolument à des objectifs strictement militaires entraînait des frictions entre les généraux des deux états-majors alliés.

Techniques de bombardement

Au début juillet 1943, le nombre d’appareils de l’USAAF rassemblés sur les aérodromes anglais étant jugé suffisant, les Américains décidèrent d’entreprendre des opérations plus importantes sur l’Allemagne. Les Britanniques étaient sceptiques quant à la réussite d’une telle entreprise, de jour, mais les Américains restaient persuadés que leurs "Forteresses Volantes" B-17 qui pouvaient voler à très haute altitude, hors de portée de la Flak, et qui de surcroît étaient fort bien armées de mitrailleuses pouvaient vraiment mettre à mal l’industrie et les zones portuaires allemandes, contribuant ainsi à l’effort global de l’aviation Alliée.

De plus, les bombardiers quadrimoteurs américains B-17 et B-24 ("Liberator") étaient équipés du viseur Norden qui permettait d’améliorer la précision des bombardements.

Imaginé par l’ingénieur néerlandais Carl Norden dans le but d’améliorer la précision et éviter ainsi trop de victimes au sol, ce système de visée fut développé en 1931 aux Etats-Unis et testé au départ par la composante aérienne de l’US Navy. Deux ans plus tard, l’Armée Américaine dont dépendait l’Air Corps (Force Aérienne) décida d’équiper ses avions engagés dans la défense des côtes. Par la suite, un conflit international se dessinant à l’horizon, les stratèges de l’Air Corps, qui envisageaient devoir tôt ou tard effectuer des opérations de bombardement terrestres, tentèrent d’obtenir l’autorisation d’installer le Norden sur tous leurs bombardiers. Leur théorie était que vu la précision du système, cela permettrait de bombarder avec une "précision chirurgicale", n’atteignant ainsi que des cibles comme des raffineries de pétrole et des centrales d’énergie, évitant la mort de centaines, voire de milliers de civils innocents. Le Département de la Guerre s’y opposa au début, considérant le Norden comme une arme de défense, destinée à n’être installé qu’à bord de bombardiers assurant la défense des côtes de l’Amérique du Nord.

Avec le système Norden, la visée se faisait en coordination avec le pilote automatique de l'avion. Lorsque l’appareil était en phase finale, une fois que le viseur était calibré en fonction de la vitesse de l’avion par rapport au sol, de l’altitude et de la vitesse et de la direction du vent, le bombardier sélectionnait la cible dans le viseur, enclenchait le système, et le viseur prenait le contrôle du pilote automatique de l'avion. C'est donc le bombardier qui, à l’aide du viseur, dirigeait l'avion pendant l'approche finale, en essayant de le maintenir sur la route choisie et en apportant d'éventuelles modifications de dernière minute fournies par le navigateur à bord. Au moment voulu, le viseur déclenchait automatiquement le largage des bombes. La précision atteinte grâce au viseur Norden n’était cependant que fort relative étant donné qu’elle était de l’ordre de 1 000 pieds (305 m) pour un bombardement à 18 000 pieds (5 490 m) d'altitude. Le viseur était un secret militaire sévèrement gardé et, au cours de leur formation, les bombardiers devaient prêter serment qu'ils défendraient ce secret au péril de leur vie. En cas d'atterrissage en territoire ennemi, un système de destruction permettait de rendre le viseur inutilisable.

viseur Norden viseur Norden
Le viseur Norden.

A l’aube du 26 juillet 1943, plus de 300 Forteresses Volantes décollèrent de divers champs d’aviation britanniques. Leurs objectifs étaient Hanovre qui était le centre de l’industrie du pneu, indispensable au transport de l’armée allemande, et des bases de sous-marins à Hambourg.

Les B-17 étaient escortés par plus de 250 chasseurs Thunderbolt P-47 et volaient très haut, entre 7 000 et 8 000 mètres avant de plonger pour atteindre leur objectif. Les pertes américaines lors de cette mission s’élevèrent à 24 appareils sur les 200 étant arrivés à hauteur des objectifs et suivant les photos aériennes, les résultats escomptés étaient loin d’être atteints.

La mission de l’USAAF sur des usines de roulements à bille à Schweinfurt et d’aéronautique à Regensburg le 17 août 1943 impliqua plus de 300 B-17, dont 60 furent abattus ce jour-là par la Flak et une puissante armada de chasseurs allemands. Les chasseurs d’escorte P-47 n’avaient pu escorter les formations que jusqu’à la frontière allemande, leur rayon d’action ne leur permettant pas de les accompagner jusqu’aux objectifs. 27 membres d’équipage de ces bombardiers abattus furent aidés par Comète durant leur évasion.

La nuit du 27 au 28 septembre 1943, les Britanniques voulurent réussir ce que les Américains n’étaient pas parvenus à faire à Hanovre deux mois auparavant. Des centaines de bombardiers de la RAF s’en allèrent bombarder cette ville mais ils furent assaillis de toutes parts par des chasseurs de la Luftwaffe. De nombreux appareils n’atteignirent même pas la ville et durent lâcher leurs bombes dans la nature afin de faire demi-tour le plus vite possible. Ce fut pour les Allemands la réussite du plan qu’ils avaient baptisé "Opéra". Il était mené d’un poste de commandement central et consistait à diriger tous les chasseurs disponibles en Allemagne en direction des concentrations de bombardiers ennemis.

En octobre 1943, l’USAAF fit venir en Angleterre la 9th Air Force, active en Afrique du Nord depuis novembre 1942, puis en Méditerranée en support des opérations en Sicile et en Italie. Le but était de préparer l’invasion du Continent et les groupes et escadrilles de cette unité effectuèrent de nombreuses missions au-dessus de l’Europe Occidentale occupée. Certains des aviateurs américains aidés par Comète appartenaient à cette 9th Air Force.

Devant le nombre élevé de pertes, l’USAAF n’entreprit plus d’opérations loin au cœur de l’Allemagne jusqu’en octobre 1943. Il fut cependant décidé d’effectuer un nouveau raid sur des installations industrielles de Schweinfurt le 14 octobre. Cette mission (appelée "Second Schweinfurt" en référence à la première, meurtrière, du 17 août) vit 291 B-17 décoller d’Angleterre, 229 d’entre eux atteignant la zone de l’objectif. Dès que les P-47 d’escorte durent rentrer à leur base, faute de pouvoir les protéger jusqu’au bout, les formations furent attaquées par des nuées de chasseurs de la Luftwaffe. Parmi les bombardiers qui atteignirent l’objectif, beaucoup furent abattus par la Flak, très intense, d’autres encore sur le vol du retour. Cette mission se solda par la perte de 60 appareils, un taux catastrophique de près de 30%... bien que l’on put constater que la cible avait été fortement atteinte et que les destructions avaient été importantes, paralysant les activités de ces usines, mais ceci pendant quelques semaines seulement…

Les moindres pertes encourues lors de raids ultérieurs de l’USAAF - le 3 novembre 1943 sur Wilhelmshaven (539 B-17 et B-24, dont seulement 7 Forteresses perdues) et le 5 sur Gelsenkirchen et Münster (436 appareils, dont 8 B-17 et 3 B-24 perdus) - redonnèrent de l’espoir aux Etats-Majors, qui avaient essuyé de nouvelles critiques quant à leur stratégie de formations de bombardiers non escortés s’engageant loin en territoire ennemi, en plein jour et face à des défenses encore toujours efficaces.

Dans la nuit du 18 au 19 novembre 1943, la RAF entama une campagne majeure contre Berlin. Elle dura 4 mois au cours desquels 16 raids impliquant de nombreux bombardiers furent effectués. Durant cette période, 492 appareils de la RAF ne revinrent pas et 954 rentrèrent endommagés à leur base.

James H. DOOLITTLE
James H. DOOLITTLE

Quant à la 8th Air Force (sous commandement du Lt Général James H. Doolittle depuis janvier 1944), elle poursuivit ses raids de bombardement de novembre à février 1944, notamment sur l’Allemagne (Bremen, Oschersleben, Münster, Osnabrück,…) et sur des objectifs en France, Belgique et Hollande, et subit relativement moins de pertes par rapport au nombre de plus en plus élevé d’appareils engagés. Les Groupes de chasse des 8th et 9th Air Force n’étant pas en reste, effectuant de multiples opérations d’escorte, de mitraillage, avec de nombreuses pertes, qui, si elles étaient moins élevées en hommes (les bombardiers lourds de l’USAAF étaient composés généralement de 10 membres d’équipage ; ceux de la RAF, de 6 à parfois 8), étaient tout aussi tragiques.

Tant pour la RAF que l’USAAF, la difficulté d’atteindre un objectif à partir d’une certaine altitude et l’importante influence du vent qui pouvait faire dériver les bombes et les appareils pendant qu’ils larguaient leur chargement avaient mené à la tactique du tapis de bombes ou « carpet bombing ». Si ce n’était le premier avion qui avait atteint l’objectif, ce fut du moins les suivants, voire même le dernier. Malgré cela, il arrivait que les objectifs prévus échappent encore à la destruction et devant les coûts importants en bombes, en carburant ainsi qu’en perte d’appareils et de vies humaines, on crut, au début de 1944, avoir trouvé la solution. L’analyse des résultats antérieurs fit apparaître que les échecs étaient dus, entre autres, au manque de précision du marquage des objectifs au moyen de fusées lumineuses et on eut alors recours aux bombardiers piqueurs Mosquito qui pouvaient lancer des fusées à deux ou trois cents mètres seulement au-dessus du but.

Il était devenu notoire que le grand nombre de pertes, notamment de l’USAAF, était dû pour bonne part également au fait que les chasseurs d’escorte P-47 destinés à protéger les bombardiers des attaques de chasseurs de la Luftwaffe n’avaient pas un rayon d’action suffisant pour accompagner sur l’Allemagne les formations de bombardiers depuis leur départ jusqu’à leur retour. Ce ne fut qu’au début de 1944, avec l’arrivée du chasseur P-51 Mustang, à moteur plus puissant, avec un plus grand rayon d’action grâce à des réservoirs supplémentaires de carburant sous les ailes et dans le fuselage à l’arrière du pilote, que les missions des bombardiers, ainsi mieux escortés, commencèrent à s’avérer moins coûteuses en appareils et en personnel. De plus, l’efficacité des pilotes de chasse américains, vit la flotte de chasseurs allemands et le nombre de pilotes chevronnés de la Luftwaffe diminuer progressivement, affichant ainsi de moins en moins de résistance efficace aux raids de plus en plus nombreux de l’aviation Alliée.

rayon d’action chasseurs d’escorte
L’évolution du rayon d’action des chasseurs d’escorte
(source : https://www.ibiblio.org/hyperwar/AAF/Bradley/Bradley-5.html

De plus, étant donné que la volonté d’Hitler était de consacrer davantage de moyens à la production de blindés que d’avions, la flotte aérienne allemande s’en trouva davantage encore déforcée. Ceci, d’autant plus que la perte de très nombreux pilotes de chasse expérimentés et la longueur des périodes de formation de nouveaux pilotes, manquant également d’instructeurs qualifiés, commençait à se faire ressentir.

Du D-Day à la fin de la guerre en Europe

Lorsque l’invasion de l’Europe occidentale qui allait se concrétiser par le débarquement de Normandie fut à sa phase décisive, apparut la nécessité de désigner un commandement unique pour toutes les unités militaires. C’est au général Dwight Eisenhower que revint cette tâche le 14 avril 1944 en tant que Commandant en Chef des Forces Alliées en Europe. Son adjoint au niveau de la RAF fut l’Air Chief Marshal Arthur Tedder. Toutefois, les divers corps d’armée, tant britanniques qu’américains, conservèrent leur structure propre.


Dwight D. EISENHOWER et Arthur W. TEDDER

Depuis le 9 février 1944, outre la poursuite des bombardements de cibles stratégiques en Allemagne (industrie pétrolière, usines d’armement, etc), on donna la priorité à la destruction non seulement en Allemagne, mais aussi dans les pays occupés (France, Belgique, Pays-Bas) des chemins de fer, des ponts, des routes et voies de communication. Le but étant d’empêcher les Allemands d’amener du matériel en France dès que le débarquement aurait lieu puis dans les semaines et mois suivants. Les routes traditionnelles d’évacuation des aviateurs évadés étant ainsi perturbées et l’accroissement du danger d’arrestations venant s’ajouter au rapport de plus en plus négatif de résistants arrêtés/tués par aviateur "sauvé", menèrent à des changements inévitables. Il fut dès lors décidé de ne plus faire trop se mouvoir les évadés d’une cachette à l’autre sur de trop longues distances et de les garder de préférence sur place jusqu’à l’arrivée des troupes libératrices. C’est ainsi que naquit le projet "Marathon" d’établissement de camps secrets dans des forêts en France et en Belgique. Le dernier aviateur évacué vers l’Espagne par Comète avait été abattu dans la nuit du 3 au 4 mai 1944 et il rejoindra l’Angleterre 6 semaines plus tard. Des centaines d’aviateurs restèrent cachés chez des civils, résistants ou non, en France et en Belgique jusqu’en août/septembre 1944. Certains d’entre eux reprirent du service opérationnel et participèrent à des missions de combat au-dessus de l’Allemagne.

Les opérations de bombardement stratégiques de la RAF et de l’USAAF contre des objectifs en Allemagne se poursuivirent après le Débarquement en Normandie et bien au-delà. Des chasseurs et chasseurs-bombardiers participèrent aux combats marquant la retraite des troupes allemandes des zones occupées. Ne pouvant plus compter sur l’appui aérien de leur Luftwaffe fortement diminuée, ces troupes se replièrent vers l’Allemagne, abandonnant des milliers de prisonniers. Un dernier sursaut de la Luftwaffe fut opéré par des chasseurs-bombardiers le 1er janvier 1945 lors de l’opération "Bodenplatte", qui vit 465 appareils Alliés détruits au sol, la Luftwaffe perdant 62 appareils à la chasse aérienne, 172 autres à l’artillerie anti-aérienne. Vu l’énorme réservoir d’appareils, principalement américains, les pertes Alliées seront rapidement compensées, alors que la Luftwaffe est effectivement décimée.

Des raids de mitraillage, de bombardement par des appareils en de plus en plus grand nombre atteignent au printemps 1945 de nombreuses villes allemandes et font de très nombreuses victimes, non seulement militaires mais aussi civiles. Le bombardement de villes comme Hambourg et surtout Dresde, en février et mars 1945, sera considéré comme "inutile" (d’autres les qualifieront par après de "crimes de guerre"), l’Allemagne ayant déjà "perdu la guerre" à cette époque. Les estimations du nombre des victimes civiles de Dresde varièrent avec le temps. En mars 1945, le gouvernement allemand annonça qu’il avait fait 200.000 victimes, d’autres historiens (de 1998 à 2013) citèrent même le chiffre de 500.000... A l’époque les autorités municipales estimèrent le nombre environ 25.000, chiffre confirmé par des enquêtes ultérieures, y compris une étude de 2010 effectuée par le Conseil municipal de la ville.

Les justifications, du côté Allié, furent que tant Hambourg que Dresde et d’autres villes représentaient encore une menace de par l’existence d’usines d’armement et autres installations militaires. Cela, - ajouté à la détermination affichée par Hitler et la plupart des membres de son Etat-Major de poursuivre la guerre jusqu’au bout ; à la découverte récente des premiers camps d’extermination ; à une volonté de définitivement saper le moral de la population afin d’amener plus rapidement une reddition et l’arrêt des hostilités, - peut expliquer cet apparent acharnement. Quoiqu’il en soit, il ne nous appartient pas ici de juger du bien-fondé ou non des décisions prises à l’époque par les États-Majors Alliés.

Il est aisé a posteriori de critiquer la conduite de la campagne de bombardements stratégiques et de son efficacité, de même que les décisions prises à tel ou tel moment par les stratèges, les hommes politiques… Il fut constaté cependant après la fin des hostilités, que l’économie allemande et son infrastructure nationale avaient été dévastées au point de ne plus pouvoir fonctionner. Les stratèges Alliés en arrivèrent à la conclusion que la puissance aérienne Alliée avait été un élément décisif dans la guerre en Europe Occidentale. Cette vision des choses fut confirmée par le Ministre allemand de l’Armement Albert Speer, un des décideurs les plus proches de Hitler, qui déclara après la guerre que les bombardements avaient créé un "troisième front" et que sans cette saignée continuelle de la main-d’œuvre allemande, de la logistique et des armements du pays, l’Allemagne aurait pu donner le coup de grâce à la Russie avant l’invasion de la France par les armées Alliées…

Ouvrons ici une parenthèse pour rendre hommage à tout le personnel au sol, masculin et féminin, tant de la RAF que de l’USAAF, individus dont on parle trop peu dans les livres et articles. Sans les mécaniciens, les armuriers, les cuistots, les chauffeurs, les ambulanciers, les médecins, les infirmiers et infirmières, les radiotélégraphistes, les cartographes, les analystes de photo de reconnaissance, les dactylos, etc, toute la machinerie complexe des opérations aériennes n’aurait pu fonctionner efficacement.

Pour ce qui est des pertes humaines du côté des forces aériennes du Commonwealth (RAF, RAAF, RCAF, RNZAF…) et des États-Unis (USAAF) lors du conflit en Europe Occidentale, divers chiffres sont avancés. Retenons que le RAF Bomber Command perdit près de 50.000 tués, de 1939 à 1945. Pour la seule 8th Air Force, on cite 4182 bombardiers perdus, de 1942 à 1945, avec un total de 58.000 victimes : 18.000 tués, 6.500 blessés, 33.500 disparus… Ces chiffres ne reprennent pas les pertes des unités de la chasse des deux forces, ces statistiques étant difficiles à obtenir… et confirmer.

Tous ces chiffres et statistiques ne reflètent pas les sacrifices, les peines, les peurs, les difficultés rencontrées par les milliers et milliers de jeunes hommes, beaucoup d’entre eux volontaires (la plupart avaient à peine vingt ans ou pas beaucoup plus, certains parfois moins…) qui ont combattu dans les airs lors de cette guerre déjà si lointaine, un trop grand nombre d’entre eux y ayant laissé leur peau, d’autres leur santé, physique et mentale...

cimetière RAF
Un des cimetières de la RAF en Europe
cimetière RAF
Un des cimetières américains en Europe
(Henri-Chapelle - Belgique)

Les principaux appareils de la RAF

Bombardier HALIFAX
Bombardier HALIFAX

Bombardier LANCASTER
Bombardier LANCASTER

Bombardier MANCHESTER
Bombardier MANCHESTER

Bombardier WELLINGTON
Bombardier WELLINGTON

Chasseur-bombardier MOSQUITO
Chasseur-bombardier MOSQUITO

Chasseur HURRICANE
Chasseur HURRICANE

Chasseur SPITFIRE
Chasseur SPITFIRE

Chasseur TYPHOON
Chasseur TYPHOON

Les principaux appareils de l’USAAF

B-17 Forteresse Volante
B-17 Forteresse Volante

B-24 Liberator
B-24 Liberator

B-26 Marauder
B-26 Marauder

P-38 Lightning
P-38 Lightning

P-47 Thunderbolt
P-47 Thunderbolt

P-51 Mustang
P-51 Mustang

Édouard Renière et Victor Schutters – 2018
Sources :


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters