Le Chenil du 16 Rue Forestière à Ixelles

Écrit avec la collaboration de Keith Janes et Michael Moores Leblanc.

Attention, ce texte ne concerne pas directement le réseau Comète.

Sources :

Situation en fin 1943

Une fausse ligne d'évasion d'aviateurs surnommée "Jackson" ou encore "le Pensionnat" au 369 de l'Avenue J. A. Slegers à Woluwe-Saint-Lambert a été découverte par Madeleine Merjay le 20 août 1943. On sait à présent que ce "Captain Jackson", soi-disant agent britannique, n'est autre que Prospeer Valeer Dezitter, né en 1893 à Passendale en Flandre Occidentale. Prosper Dezitter est un Belge travaillant pour l'Abwehr et la GFP. Tous les aviateurs et résistants voulant rejoindre Londres y sont en fait arrêtés et déportés. Dezitter est ce que l'on appelle un V-Mann (Vertrauensmann = homme de confiance), dénomination des agents allemands. Le pluriel est V-Leute (gens de confiance).

Vient ensuite le meurtre d'une Estonienne résidant à Bruxelles, Annie Lall, le 29 septembre 1943. L'amante et complice de Dezitter, Florentine Giralt épouse Dings, utilisait son prénom "Annie" comme surnom, et son adresse et numéro de téléphone comme "boîte aux lettres" pour les groupuscules infiltrés. Annie Lall est sauvagement assassinée dans son appartement par un résistant mal identifié, et dans des circonstances demeurées pour le moins glauques. Elle avait été assimilée à l'amante de Dezitter. Quelques jours auparavant, Annie Lall avait prévenu l'abbé Jean Derèse et lui avait donc fait comprendre le double jeu de Dezitter et sa bande, qui se faisaient passer pour des agents de Londres afin de les capturer

Des victimes de leur piège du Pensionnat parviennent à prévenir les résistants belges. Mme Moureau est rentrée d'Allemagne et a prévenu la résistance à son sujet. Un article intitulé "Deux salopards" paraît dans la Voix des Patriotes du 11 novembre 1943, avec les photos de Dezitter et Giralt. De nombreuses gazettes clandestines les reproduisent. Jeanne Orban, Georges Kaison et Hubert Piette du groupe liégeois Artéla ont également pu transmettre une lettre durant leur captivité, où ils décrivent le chauffeur de "Jackson" (Nootens) comme un traître. L'abbé Georges Goffinet, une autre victime, écrit également depuis la prison d'Aix-la-Chapelle et peut transmettre le même avertissement. Élisabeth De Jamblinne de Meux le fait également poursuivre par des résistants, etc.

Dezitter est sans nul doute l'agent provocateur (agent infiltré) le plus connu. Il est alors une des cibles de la "Rat Week", un plan d'élimination physique des collaborateurs. Bref, il doit se terrer jusque fin 1943 sous la protection de l'Abwehr et de la GFP. En concertation avec son agent traitant, Rudolf Kohl, Dezitter déménage son piège de l'Avenue Slegers au 16 de la Rue Forestière à Ixelles. Tous les anciens assistants sont remplacés, et les pseudos déjà utilisés sont modifiés. De fin 1943 à août 1944, Dezitter et ses maîtres vont aussi légèrement changer de technique : Ils abandonnent le train vers l'Espagne via Paris et Bordeaux et utilisent des voitures pour ramasser les "colis", notamment dans le Hainaut. Quatre affaires judiciaires sont officiellement imputées à Dezitter durant cette période :

Situation en 1944

Début 1944, tous les services de renseignements allemands du RSHA (Reichssicherheitshauptamt) deviennent dépendants du parti nazi. Tous les officiers et militaires de l'Abwehr perdent donc leur grade. Tout le monde a compris que la guerre est perdue pour l'Allemagne, et que ce n'est qu'une question de temps. Le nouveau Fak 307 (Frontaufklärungskommando) de Belgique et des Pays-Bas remplace la SiPo (Sicherheitspolizei) et l'Abwehr militaire. Ce Fak 307 dirige des Frontaufklärungstruppen dont le Fat 362 (Brabant-Hainaut-Limbourg) de l'ex-major Johann Möhring. Dezitter reste encore attaché à son agent traitant Kohl, démotivé. Les gens n'étant plus systématiquement arrêtés, Rudolf Kohl sera même dénoncé à Johann Möhring par Dezitter dans un rapport.

Quant à leurs complices de 1943, ils déménagent à la Rue Lincoln à Uccle tout en changeant de pseudo, Charles Jenart devenant "Albert Goffinet" et Jean-Marcel Nootens "Cambier". Ils quittent le groupe de Dezitter et sont employés ailleurs. Nootens sert cependant encore de chauffeur à deux à ou trois reprises pour Dezitter dans la présente affaire du Chenil. Il semblerait que ce soit lui qui prend en charge Hugh Bomar et Ray Smith à Isières le 24 août [cheveux gris, forte corpulence et lunettes de corne, très propre et costume gris cher], probablement parce que le nouveau chauffeur, Nicolas Fetisoff, est alors occupé à régler le ramassage de Lancelot Bodey, N. Beamish et Theodore Kleinman à Leuze et Basècles. Nootens est aussi chargé de la filature de Mme Wittouck, comme nous le verrons plus tard.

Florentine Giralt, devenue "Mme Winter" ou "Jacqueline" déménage d'Auderghem avec son fils Serge. Leur maison au 16 de la Rue Forestière à Ixelles (Bosstraat in Elsene) est louée au nom de Vania Gristchenko et payée par le Fat 362. A partir de février 1944, on relance les appâts via d'autres personnes de bonne foi. Le Chenil n'aura plus la dimension du Pensionnat de Woluwé. Les nouveaux complices, encore inconnus des autres intervenants, sont Vania Gristchenko et Nicolas Fetisoff époux de Suzanne Bertherand, qui prennent le relais de Jenart et Nootens.

Giralt s'y entoure de quatre chiens : un bâtard, deux terriers écossais et un berger allemand. Ces quatre chiens, et un chat noir, donneront l'idée aux aviateurs en cavale de surnommer cette maison "The Dog House", le chenil.

Le Fat 362 quitte enfin Bruxelles le 2 septembre 1944 et le groupe Dezitter est dans ce convoi avec leurs trois voitures. Dezitter et Jean-Marcel Nootens, Flamands, sont pressentis pour les postes d'observations en Hollande, mais Dezitter est souffrant et rentre en Allemagne. Les derniers aviateurs capturés sont entrés le 15 août.

Les nouveaux acteurs en présence

Vania Gristchenko (Yvan, ou Jean) est né en 1904 à Kharkow (Russie) et y suit six ans de collège. Exilé en 1920 après la Révolution d'Octobre vers Gallipoli (Turquie) et Sofia (Bulgarie) pendant huit ans pour poursuivre ses études classiques, il travaille un an à Wiltz (Allemagne) pour financer ses études. Il est en Belgique en octobre 1929 à l'UCL, en faculté d'agronomie, et devient membre de l'association des Russes Blancs de Votsjekohvski. Par besoin d'argent, il est chanteur musicien dans des orchestres russes à Bruxelles et à la côte en été. Il rencontre le couple Dezitter-Giralt durant une représentation. En 1933, il cesse de chanter et trouve un emploi à la laiterie Pax jusque 1944 grâce à Giralt, qui est une amie de sa directrice, Mme Knopfs. Il devient l'amant de Florentine Dings-Giralt de 1939 à 1941 (à l'insu de Dezitter et de son mari, Paul Dings). Il devient ami des Dings et aide leur fils Serge dans ses études. Il subit des interventions chirurgicales à la colonne vertébrale en 1943 et est très malade. Il est alors aidé financièrement par Giralt. En sortant de l'hôpital en fin décembre 1943, il est recruté par Dezitter mais pas officiellement enregistré à l'Abwehr comme agent (V-Mann). Rudolf Kohl est au courant de tout. Gristchenko loue alors la maison à la Rue Forestière à son nom, et attire quelques résistants et les Fetisoff. Il sert d'interprète pour les deux (?) prisonniers russes du Chenil. Après une nouvelle opération chirurgicale à Cologne, il est le premier de la bande à être arrêté, à Würzburg en Bavière, le 21 février 1946 et est transféré au Petit-Château à Bruxelles le 27 avril. Il nie avoir été au courant et plaide son innocence en disant qu'il pensait que Giralt travaillait pour les Alliés. Il obtiendra des circonstances atténuantes vu son arrivée tardive dans la bande et sa dépendance financière envers Giralt.

Nicolas Fetissoff, que les aviateurs surnommeront "the mad Russian" (le Russe fou), est né à Novotcherkask (Russie) en 1906. C'est probablement un Russe Blanc qui a fui après la révolution communiste. Ingénieur Agronome de l'UCL et assistant à l'université en faculté d'agronomie, il épouse en 1935 Suzanne Bertherand, alias "Claire", qui est née à Croix (France) en 1910 de nationalité belge et est employée dans les assurances. Ils vont habiter à Kessel-Lo, puis plus tard au 111 Rue de Paris à Evere. Leur dossier britannique cite aussi le n° 43 Rue Capouillet à Saint-Gilles. En 1936 leur naît un fils : Alexis. Le couple est en contact avec Vania Gristchenko et est connu à l'université et parmi la communauté belge des Russes Blancs. Proposés par Gristchenko, ils sont recrutés directement par Dezitter en avril 1944, quand Nicolas Fetisoff perd son boulot suite à de l'asthme. Il remplace alors Nootens comme chauffeur. Comme sa femme Suzanne perd également son emploi, on pense qu'elle aussi pourra être utile (elle le sera, sous son pseudo de "Claire") pour les contacts avec la résistance belge. Le couple aurait déjà travaillé pour deux officiers allemands en 1941 ou 1942 (dixit Dezitter lors de son procès) et avait divers contacts avec les services allemands et des VLeute. Des évadés l'entendent parler en allemand et le décrivent souvent affublé d'un tissu noir sur le pouce droit. Non enregistrés comme agents de l'Abwehr, Rudolf Kohl leur paie néanmoins leur salaire mensuel. Le couple n'a jamais été retrouvé après sa fuite en Allemagne avec leur fils. Après s'être cachés à Würzburg, ils partent à Berlin, puis à Lübeck, où l'on perd leurs traces.

Robert Raoul Boen alias "Roger" est né en 1912 à Mortsel et est directeur de société, domicilié au 51 Avenue Charles Woeste à Jette-Saint-Pierre. Selon Willy Plate, un agent principal du Ast IIIF, un poste avec marconiste fut capturé en 1943 (il s'agit de Jacques Van Horen, alias "Moujik") et Boen reçut alors la mission de voir Henri Michelli habitant au 53 Rue Royale, trois maisons plus loin que les bureaux de l'Abwehr. C'est l'affaire "Abbé-Michelli-Coco". Boen arrête Marie et Jules Grandjean de Willerzie. Michelli est arrêté lui-même par la GFP et Dezitter. Il avait donc déjà infiltré la direction de Comète en 1942. En 1944, Boen infiltre la résistance à Diest avec Laurent Luys et Jan Weerelds (né à Tongres en 1898), fournissant ainsi des aviateurs pour le Chenil. Jugé par le Conseil de Guerre le 27 juin 1947, Boen est condamné à la mort par fusillade et voit sa peine commuée en emprisonnement.

Madame Ludmilla (?) Wodowosoff est une autre Russe, connaissance de Gristchenko et Fetisoff. Elle tient un magasin de chapeaux à l'Avenue Paul Héger à Ixelles. Elle servira de boîte-aux-lettres, en remplacement de Annie Lall (elle sera plus prudente). Elle est déjà surveillée par le 2e Bureau français à cause des liaisons avec des officiers allemands. Elle disparaîtra en Espagne après la libération. C'est via elle, comme nous allons le voir, que la résistance est contactée, pour ne pas dire appâtée.

Prosper Dezitter et Florentine Giralt n'ont pas besoin d'être présentés.

Modus vivendi au Chenil

Les méthodes utilisées sont largement inspirées de celles du Pensionnat de Woluwé : messages à la BBC, lettres de confiance, notes d'apaisement et atmosphère britannique pour gagner la confiance des résistants. Les aviateurs remplissent des E-Forms (formulaires d'évasion) et sont vaguement interrogés par Dezitter, sous forme de discussions générales.

Une grosse différence : on ne capture plus de résistants. Ces résistants ne sont intéressants que dans la mesure où ils peuvent ébruiter l'existence de la fausse ligne d'évasion, et conservent leurs contacts. C'est sans nul doute une leçon tirée de la catastrophique expérience vécue avec l'innocente Annie Lall, et son assassinat le 29 septembre 1943 par un résistant, qui croyait éliminer Florentine Giralt. L'abbé Derèze, qui a vu et entendu Annie Lall avant le meurtre, peut s'échapper du piège du Pensionnat et prévenir "tout le monde". Personne ne quittera plus le Chenil, une fois entré. La seule exception sera aux débuts, pour mettre en confiance des résistants, mais les rencontres se font sous la surveillance directe de Flore Giralt.

C'est surtout Fetisoff (une fois au moins Nootens et une fois Dezitter à Bruxelles) qui va chercher en voiture les évadés avec ou chez des personnes de bonne foi. En règle générale, Dezitter et Giralt ne se montrent plus, étant bien trop connnus. Dans la région de Diest, les VLeute Robert Boen et Jan Weerelds sont encadrés par le Sonderführer Willy Plate.

Giralt joue ici le rôle de gérante de l'immeuble et fait la liaison avec quelques personnes de bonne foi : Jean Decoux, Micheline Cyprès, Alice Rutgeerts et Roger Dister. Ces deux derniers reviennent du travail forcé en Allemagne en début 1944 et ne connaissent pas grand chose de ce qui s'est passé en Belgique. Il est également à noter que Cyprès et Decoux n'ont pas été fort actifs dans la résistance. Ils ne connaissent donc pas Dezitter. Dister ne reconnaît même pas Giralt par les photos de la résistance, qu'il avait cependant vues.

Des récits d'évasions des aviateurs, il apparaît que Gristchenko supervise surtout les repas (il sort de l'hôpital et a été opéré à la colonne vertébrale). Une autre jeune servante, Annie ou Emilie, les prépare. Les aviateurs y voient souvent Alexis Fetisoff et Serge Dings, dont certains remarquent la cleptomanie du second à leurs dépens.

La boîte aux lettres pour les mouvements de résistance est Mme Wodowosoff de l'Avenue Paul Héger, amie de Gristchenko et Fetisoff. Les résistants eux-mêmes n'ont aucun accès au Chenil. Même les autres agents allemands déposent leurs "colis" à un rendez-vous à l'Avenue de Vleurgat toute proche et ne connaissent pas sa localisation.

Les aviateurs ne sont plus arrêtés en route vers l'Espagne, mais directement à Bruxelles. Cela se produit à l'une des anciennes maisons de la Gestapo ou de la SiPo (ces aviateurs la décrivent comme un QG de la Luftwaffe, voire à un Palais de Justice) à l'Avenue Louise. Il n'y a plus de route d'évacuation en France par économie de moyens et sans doute par manque de motivation des agents allemands. Certains aviateurs se doutent bien de quelque chose de louche dans l'attitude du couple Dezitter-Giralt à la Rue Forestière : L'ambiance y est nettement moins bonne qu'au Pensionnat de Woluwé, le berger allemand les empêche parfois de quitter leur chambre. En règle générale, ils n'y restent d'ailleurs que trois ou quatre jours.

Après leur séjour au Chenil, tous les aviateurs sont énsuite emmenés dans une maison annexe des anciennes Gestapo ou GFP par les mêmes trois agents allemands : Rudolf Kohl, Hans Jess ou Georg Bödiker. Ceci est un élément des enquêtes ultérieures. Les pilotes sont accueillis dans le jardin de cette annexe "au porche vitré" par un ou plusieurs Allemands parlant anglais, et qui leur offrent de l'alcool (du cognac) et essayent encore d'obtenir quelques renseignements, principalement sur les personnes qui les ont aidés.

Sous le prétexte d'aller faire de nouvelles photos, ils vont ensuite à l'ancien QG de la SiPo à l'Avenue Louise pour y être officiellement arrêtés, puis à la prison de Saint-Gilles avant d'être désignés pour l'envoi en train vers un camp de prisonniers en Allemagne. Notons que sur les 41 aviateurs qui se retrouvent dans le Train Fantôme du 1er septembre, au moins 25 d'entre-eux sont passés par le Chenil.

Kohl prétend après la guerre qu'environ cent aviateurs, dix résistants et quinze Russes passent par le Chenil. Au cours de son procès, Dezitter dit de son côté au maximum 50 aviateurs, 2 Russes (ceux de Gaston Bouillon) et 2 Belges (certainement Rutgeerts et Dister). En 1948, lors du procès, il est encore impossible de dire avec certitude combien d'aviateurs y sont passés, les sources étant insuffisantes. Nous parvenons péniblement à pouvoir maintenant dresser cette liste, encore incomplète.

Les voitures de la bande sont immatriculées 68487, 433835 et 160615 (CC). Lors d'une affaire en 1943, une Chevrolet et une Graham Page avaient été prêtées par le garagiste Damas. Elles serviront jusqu'à la fuite du groupe en Allemagne le 3 septembre.

Les lignes d'alimentation en aviateurs

Toutes les personnes de bonne foi sont entrées en contact avec Dezitter via Mme Wodowosoff, active dans le milieu des Russes blancs. Même si Florentine Giralt intervient, notamment pour Gaston Bouillon, elle ne se montre que pour des discussions de messages à faire passer à la BBC, et uniquement dans certains cas rares. Les appâts, lancés par Dezitter, trouveront un accès vers les cinq groupes suivants. Il faut noter que certains aviateurs, connus pour être passés au Chenil, ne peuvent encore être classés dans ces cinq groupes.

1- Wasmes en Borinage

Micheline Cyprès et son frère Lucien Mondo cachent le Néerlandais clandestin Rudolf Van Veen à Bruxelles. Ils contactent Jean Decoux (une connaissance de Gaston Bouillon du Groupe G) qui habite dans l'immeuble de Mme Wodowosoff, Avenue Paul Héger à Ixelles. Cette dernière lui a déjà confié qu'elle connaissait une ligne d'évasion alliée et accepte même de cacher Van Veen dans son magasin de chapeaux. Van Veen y rencontre la vendeuse Alice Rutgeerts, convaincue que Florentine Giralt travaille pour le SIS.

Alice Rutgeerts travaille en fait avec son ami Roger Dister pour le 2e Bureau français depuis 1940 et surveille Wodowosoff, soupçonnée d'entretenir des relations avec des officiers allemands. Elle collabore à un service de renseignements créé par Roger Dister (du 110 Rue de la Mutualité à Uccle), agent du 2e Bureau aux ordres d'un Liljebladt (qui refuse de les reconnaître après la guerre dans les réseaux FFL) de mai 1940 à février 1944. Alice Rutgeerts travaille au département couture de la "Socrinex" au 43 Rue de Ligne à Bruxelles (import-export) dont Liljebladt est administrateur délégué. Dister est directeur et secrétaire particulier du premier. La Socrinex sert de paravent à la mission militaire française Rue Mercelis et l'épouse de Liljebladt est Lily Schmidt, la célèbre espionne recherchée par la Gestapo (? ainsi expliqué dans un rapport de Alice Rutgeerts en 1945). En mai, ce bureau part au Maroc et Dister revient. Elle tape alors ses rapports et Dister contacte "BB" et "AB" (?). Ils travaillent tous deux sans rétribution.

En fin avril 1943, Dister quitte Bruxelles après des menaces de la Werbestelle et devient en juillet le représentant belge de la firme Bahmani de Paris (via Charles Pleyn, un rexiste convaincu) au Tyrol, à 3 km de la frontière suisse. Elle est convoquée Rue de Namur en juillet, mais pour Stuttgart. Elle prend l'express de Innsbrück et devient alors serveuse à l'hôtel Leeuw de Schruns où Dister opère un poste radio dans la montagne. Entre août et octobre, ils favorisent l'entrée en Suisse de 150 travailleurs forcés. En octobre 1943, Dister constate une surveillance de la Gestapo locale et elle est réformée, pour un kg de tabac belge, à Bludenz. Elle rentre à Bruxelles et Dister fait partir 200 ouvriers de Bahmani, causant la faillite locale de la firme. Le 20 décembre, il entame une procédure contre Bahmani qui refuse de le payer et devient réfractaire en février 1944.

Alice Rutgeerts demande donc l'aide de Giralt en mars 1944 via Vania Gristchenko, qui emmène alors plus tard Van Veen au Chenil. Rutgeerts prévient Giralt du fait qu'elle est surveillée par les Allemands et l'informe des soupçons au sujet de Mme Ludmilla Wodowosoff, lors d'une visite ultérieure avec Gristchenko. Selon une déclaration de Rutgeerts en juin 1945, "Lorine" est une personne "ayant tout à dire au chef le l'IS en Belgique." Peu avant son départ "pour l'Angleterre", Van Veen peut revoir Micheline Cyprès avec Giralt dans un café, via Jean Decoux. Il a vu des aviateurs au Chenil et il le raconte à Cyprès ; on convient aussi d'un message BBC à son arrivée à Londres. Le message BBC pour Van Veen passe bien à la radio anglaise via le Funkspiel de l'Abwehr. Van Veen est en réalité conduit par Georg Bödiker et est arrêté dans sa voiture. La date de son arrestation et de son séjour au Chenil n'est pas connue, mais ce devrait être vers la fin mai ou en début de juin. Il passe deux mois à Saint-Gilles et est transféré à Bourg-Léopold où il est libéré le 5 septembre 1944.

Alice Rutgeerts présente aussi son chef en résistance (et ami) Roger Dister. Ils deviennent "Jeanne Geerts" et "René Dries" (Rutgeerts déclare qu'elle est "Jeanne Dries") et déménagent à la Rue de la Pépinière (Boomkweekerijstraat) à Bruxelles, près de la Place du Trône dans un appartement payé par les Allemands via Dezitter. Ils sont également payés 3 000 FB par mois pour le couple, avec leurs frais remboursés. Notons bien que Rutgeerts et Dister ne viennent jamais à la Rue Forestière. Il ne s'agit plus de commettre la même erreur qu'au Pensionnat !

Quelques aviateurs de Wasmes en Borinage arrivent ainsi via Dister : Micheline Cyprès, via sa mère travaillant à la Croix-Rouge qui y connaît des résistants (elle est orignaire de Lodelinsart), fournit deux aviateurs hébergés à Wasmes. Il se pourrait bien que ces deux aviateurs soient ceux que Rudolf Van Veen voit au Chenil lors de son passage. Nous n'avons pas encore pu les identifier à ce jour. Ils ne sont présents que pour appâter les premiers "clients".

Il est parfois fait mention, outre Wasmes, de Spa. Nous n'avons retrouvé aucun élément corroborant cette mention. Parmi les candidats potentiels à avoir été ces premiers appâts, nous pouvons signaler Stuart McGregor et Louis Rabinovitz, mais sans aucune certitude. Ces deux aviateurs pourraient avoir été ramenés d'Anvers (de la fausse ligne KLM du VMann René Van Muylem) et ont séjournés une semaine dans "une maison luxueuse de Bruxelles" avant d'être arrêtés définitivement.

Alice Rutgeerts et Roger Dister sont prévenus le 10 août qu'il y a urgence à aller seconder des chefs anglais dans une villa près de Valenciennes. Ils y sont envoyés avec Armand Sculier, du 45 Rue du Pépin à Bruxelles. Le 14 août à 16hr45, ils montent dans la voiture conduite par "Freddy". A 17 hr, sur route de Mons à hauteur de la Roue, ils sont arrêtés par la GFP pour des faux papiers (Geerts et Dries), conduits à Laeken avec les yeux bandés et n'y sont pas interrogés. Le 30 août vers 14 hr, ils partent à Saint-Gilles et partent le lendemain vers l'Allemagne. Elle est déportée à Ravensbrück le 03 septembre et passe à Sachsenhausen le19, à Oberspré-Scheuneweide (Überspringe-Scheuneweide ?). Elle sera libérée par les Russes le 03 mai 1945 à Oranienburg-Saxenhausen et rapatriée le 14 mai à Bruxelles. Dister ne revient pas d'Allemagne.

2- L'Armée Secrète de Tournai

Ces aviateurs n'ont rien à voir avec ceux du Groupe G de Gaston Bouillon, que nous verrons plus tard. Cela se vérifie par les dires de Mme Gilberte Watteau-Picard de Tournai. Elle connaît une "Mlle C." à Bruxelles (lisez : Jacqueline Cyprès née Mondo à Tournai en 1924). Durant le moi de mai 1944, Mme Watteau apprend donc qu'une ligne peut encore effectuer des évasions.

Elle en parle à son chef de la zone I A 30 de l'Armée Secrète le jeudi suivant chez "Ma Tante". L'abbé Georges Dropsy alias "Mon Oncle" avait déjà été l'un des jeunes agents de l'IS en 14-18 et est un ancien agent de la ligne Pat O'Leary. Il vit en clandestinité depuis 1942 à Blandain chez Simone Ghisdal, dite "Ma Tante". Ces résistants sont plutôt réticents, déclarant que toutes les lignes étaient détruites et qu'ils ne font pas confiance. Mais l'abbé Dropsy est néanmoins favorable, et on décide d'expérimenter cette ligne.

C'est ainsi que seront délivrés au Chenil, mais seulement le 1er août : James Levey, Roy Brown, Leon Panzer, John Singleton et William Muse. Harry Blair et James Wagner suivent le 15 août. Hugh Bomar et Ray Smith partent d'Isières le 24 août. N. Beamish, Lancelot Bodey et Theodore Kleinman partent de la région de Leuze le 25 août.

Le Sonderführer Hans Jess interdit alors à Giralt (version de Giralt à son procès) de voir encore Alice Rutgeerts et Roger Dister, qui se retrouvent soudainement sans revenus. Giralt et "Ralph" (Rudolf Kohl) leur proposent de tenir un abri en France du Nord, et "Ralph" ira les y conduire. Ils sont ainsi arrêtés le 13 août par des soi-disant Feldgendarmen à la sortie de Bruxelles, et sont emmenés à Saint-Gilles. Ils seront déportés par le dernier train vers l'Allemagne du 31 août 1944. Roger Dister décède en captivité et Alice Rutgeerts va à Ravensbrück, puis est libérée à Sachsenhausen.

Tournai est libéré le 3 septembre et Dropsy devient commandant de la ville. Il alerte alors Mme Gilberte Watteau-Picard : leurs aviateurs avaient été conduits à la Rue Forestière. Singleton était revenu à Templeuve le 7 septembre et avait donné l'alarme à ses logeurs avant de rejoindre l'Angleterre.

Mlle C., alias Jacqueline Cyprès, contacte immédiatement un jeune homme qui garantit son contact, une certaine "Jacqueline" (Florentine Giralt). Ce ne peut être Roger Dister, qui est déporté. Il s'agit peut-être de son frère Lucien ou plutôt de Jean Decoux. Bref, ils se rendent non loin de l'Avenue des Nations (aujourd'hui Avenue Franklin Roosevelt) chez une dame d'origine russe (Mme Wodowosoff habitait à l'Avenue Paul Héger dans le même immeuble que Decoux), qui avait participé à cette ligne. Ils n'apprennent rien de cette dame, si ce n'est qu'elle disparaît ensuite à toute vitesse en Espagne après leur visite.

Le lendemain, Mme Watteau et Micheline Cyprès vont remplir une déposition à la Police Militaire britannique. Elles apprennent alors qu'un certain Dezitter gérait la ligne. Personne n'a heureusement été inquiété.

3- Groupe G du Hainaut

Jean Decoux, également mis en confiance par le message BBC de Van Veen, attire Gaston Bouillon, alias "Oxo" au Groupe G, de Villers-Saint-Ghislain (entre Mons et Binche). N'oublions pas que les autres lignes refusent alors de prendre des aviateurs (c'est l'époque de création des camps Marathon), et que les résistants sont tout contents de trouver un débouché à leurs encombrants "colis". Un rendez-vous est fixé via Mme Bodowosoff en mai 44 entre Gaston Bouillon et Florentine Giralt, alias "Jacqueline Winter", dans un endroit de Bruxelles dénommé "La Belgika". Il s'agit vraisemblablement des bureaux du Comptoir Colonial Belgika, une société active dans l'exploitation de mines d'or et d'étain au Congo Belge.

Bouillon exige de Giralt un message pour la BBC, ce que Giralt refuse cette fois. Bouillon avait travaillé au Congo et elle lui présente, en lieu et place de message à la BBC, André ou Arthur Gilson à son bureau. Gilson est officier de réserve tout comme Bouillon et lui donne sa parole d'officier, l'assurant qu'il peut faire confiance à "Jacqueline". Cette seconde entrevue a également eu lieu à "La Belgika" à Bruxelles. Gilson est administrateur général de la société coloniale INTERFINA et Gaston Bouillon travaille pour cette société. Bouillon, qui ne semble pas vraiment convaincu (dit-il après la guerre), prend tout de même le risque de confier Richard Scott et Rexford Dettre à cette filière le 3 juillet.

Après le départ des deux aviateurs, Bouillon demande une deuxième entrevue avec "Jacqueline" afin qu'elle lui fournisse un document écrit attestant du passage des aviateurs en Angleterre. "Jacqueline" esquive mais assure verbalement que les aviateurs sont bien sur le chemin de l'Angleterre. Plus tard, "Jacqueline" va tout de même faire parvenir à Bouillon un message signé de Scott et Dettre précisant qu'ils sont sur le point de partir pour l'Angleterre. Ce message (appelé une lettre de confiance) est daté du 4 juillet 1944, lendemain de la date à laquelle les aviateurs ont été livrés au Chenil.

D'autres "lettres de confiance" similaires continueront à être fournies à ce groupe. Les membres de l'Armée Secrète de Tournai en ont également reçues de semblables. La lettre de Charles Hillis à Irma Caldow dit : "Just a line to let you know things have gone well. So far too good to be true as matter of fact. I want to say you thanks again for all people have done for me - Honest, I don't know how I'll ever be able to repas you... Until next time. So long Irma". Le même jour, Charles Quirk écrit : "Everything is going well. I should be on the final leg soon. I can never expect words to thank you..."

Convaincu par Gilson et rassuré par ce message des aviateurs, Bouillon réunit à son domicile à la Route de Mons à Villers-Saint-Ghislain, entre le 8 et le 13 juillet, quatre chefs de secteurs (32 et 35) du Groupe G. Ces deux secteurs s'étendent de Tournai à Binche. A l'issue de cette réunion, tous considèrent que la filière est fiable. Gaston Bouillon précise alors que la fréquence des passages, toutes régions confondues, était de 6 à 7 aviateurs par semaine. Le dernier passage organisé par Bouillon a eu lieu le 25 août.

Le Groupe G a transmis au moins 15 aviateurs et 2 Russes. Ils sont pris en voiture par Fetisoff à Givry et dans les environs (Hainaut oriental) et seront finalement arrêtés dans un ancien local de la GFP. Tout comme les membres du refuge Colibri de l'Armée Secrète de Tournai, Bouillon et ses collaborateurs des secteur 32 et 35 du Groupe G ne seront pas inquiétés ni même arrêtés, et n'étaient pas encore conscients de leur erreur à la libération.

4- Diest

Les VLeute Robert Boen alias "Roger" et Jean Weerelds alias "Valentin" du Sonderführer Georg Bödiker et Willy Plate de l'Abt IIIF infiltrent la résistance à Diest avec Laurent Luys alias "Lemaître", ou "Docteur". C'est l'affaire Petit-Decocq. L'etude de cette affaire est étrangère au présent sujet, mais ces groupes de résistants se retrouvent parfois avec des aviateurs à cacher et évacuer.

Boen reçoit alors un n° de téléphone de son agent traitant et prévient ainsi Giralt qu'il peut lui apporter deux aviateurs. Giralt les attend Chaussée de Vleurgat, parallèle à la Rue Forestière à Ixelles. Il n'est pas question, une fois encore, de dévoiler à d'autres personnes l'emplacement du repaire actuel de Dezitter. Au moins cinq aviateurs arriveront par cette filière : William Elliott et Maurice Muir le 22 juin, William Baer vers le 25 juillet, Kenneth Holcomb et Cecil Spence le 14 août. Les deux premiers sont probablement ceux du premier rendez-vous de la Chaussée de Vleurgat.

Selon les enquêtes judiciaires ultérieures, les aviateurs de Diest sont convoyés vers l'Avenue Louise par Rudolf Kohl et envoyés par lui en Allemagne. C'est peut-être vrai pour Buir, mais les autres sont finalement libérés dans le Train Fantôme.

5- L'affaire Wittouck

Il y a en Belgique sept camps de prisonniers soviétiques : six au Limbourg et un dans les Ardennes. Les évasions deviennent fréquentes en 1944 et une unité est formée, qui s'appelle la "Brigade Soviétique Pour la Patrie". Ces unités sont en contact avec le Front de l'Indépendance (les Partisans Armés) et l'Armée Secrète. Le milieu tsariste les aide en Belgique via le Mouvement des Partisans Russes en Belgique ou Beweging der Russische Partizanen in België de Ielena Palovna Sjtsjerbatova épouse Wittouck, Piotr Krylov et Andreï Slekar. Ils ont besoin d'armes pour créer le deuxième front imaginé lors de la libération prochaine.

Mme Wittouck est contactée par Dezitter en mai 44, qui leur promet des parachutages d'armes et de munititons. Elle connaît Maria Indersteghen, infirmière à Louvain, une connaissance du chimiste Ivanow, actif dans la résistance au Limbourg et lui-même connaissant Fetisoff. Mme Wittouck rencontre ce dernier par hasard avec Ivanow et Indersteghen à l'Hôtel Vogelbank à Hasselt, d'où un rendez-vous est pris avec Dezitter pour une rencontre entre lui et Mme Wittouck dans le bureau de cette dernière.

Dezitter utilise divers stratagèmes pour localiser les prisonniers évadés, mais il n'est plus soutenu par un Abwehr démotivé. Ayant promis des parachutages, il demande de désigner trois zones de largage de matériel dans chaque région. En toute logique, ces zones devront être proches des refuges de ces prisonniers évadés. Prudente, Mme Wittouck ne lui remet qu'une zone par région. Dezitter promet aussi de l'argent et des timbres de rationnement. Il avertit encore Mme Wittouck d'un danger d'arrestations et de la nécessité de déplacer les prisonniers cachés, promettant l'envoi de camions pour les déplacements, véhicules qui n'arriveront jamais. Les camions auraient été fourni par les Allemands, bien entendu. Il n'est pas appuyé par ses chefs et perd ainsi la confiance de Mme Wittouck.

Nootens reçoit ici encore de Dezitter la mission de filer Mme Wittouck-Sjtsjerbatova, mais l'action échoue. Elle habitait au 21 Boulevard de Waterloo à Bruxelles.

La libération empêche des arrestations en masse parmi ces Russes. C'est alors que Dezitter introduit chez Möhring une plainte au sujet de Kohl qui ne l'avait pas appuyé dans cette tentative d'infiltration.

Des arrestations indirectes ont cependant lieu. Mme Wittouck a mis Fetisoff en contact avec Blandine Devries, qui cachait des aviateurs alliés. Suzanne Bertherand vient la voir sous le pseudo de "Claire" et promet d'évacuer les trois aviateurs que Fetisoff vient chercher pour les conduire au Chenil de la Rue Forestière. William Sink avait été logé 83 jours chez le Suisse Paul Calame au 71 Dieweg à Uccle. Les deux autres sont quasi certainement Wallis Cozzens et William Ryckman.

Le 1st Lt William Ryckman déclare dans son rapport d'évasion, E&E 1591, que : " ... Ils virent là le chef [Dezitter] payer un homme en francs belges – ne parlait pas anglais, cheveux blonds, environ 40 ans, environ 5’9” et 160 livres. Le chef se plaignit au sujet de payer de l'argent mais ils observèrent qu'il recevait des reçus numérotés. Le Russe et sa femme [Les Fetisoff] restèrent là toute la nuit. Cette nuit, ils parlèrent avec le chef et il dit comment "Jacqueline" et lui avaient été dans la campagne pour des "réceptions". Il était question d'un avion allemand qui larguait et de lui qui avait presque été capturé. Il déclara que les communistes avaient volé une partie du matériel alors largué et l'avaient enterré pour leur propre usage. Le chef (Dezitter) leur expliqua qu'il avait passé une partie de sa vie en Inde, qu'il avait été à El Paso, Texas, et au Canada. Il avait l'air de connaître suffisemment le Canada que pour faire croire aux Canadiens qu'il était Canadien. Il raconta une histoire d'être un agent britannique."

Par après, Fetisoff conduit encore Devries en France, mais ils se font arrêter. Kohl parvient à les faire libérer, mais Blandine Devries perd toute confiance et cesse toute activité. Elle a toutefois indiqué à Bertherand le nom de Jeanne Truyens, qui fait partie du groupe de Foulon.

6- L'affaire Foulon

Louis Foulon était président de la chambre francophone de commerce. Il utilise ses facilités diplomatiques pour transporter du courrier d'espionnage de Bruxelles à Vichy. C'est la ligne Rochus du réseau français Mithridate. La GFP voulait déjà l'arrêter en 1943, mais il fut laissé libre pour ne pas endommager les relations entre Berlin et Vichy. Accessoirement, ceci montre bien que ce réseau du BCRA français est donc bel et bien aussi sous surveillance.

Jeanne Truyens, courrier de la ligne Rochus, entend parler du laisser-passer de Blandine Devries et s'intéresse à cet aspect. Devries présente donc "Claire" (Suzanne Bertherand épouse Fetisoff) à Truyens au Bois de la Cambre. Sa ligne était alors arrêtée et il lui restait deux aviateurs américains à faire passer en France. Dezitter organise alors le repêchage de ces deux aviateurs par les Fetisoff dans un marché au poisson de Bruxelles.

Ces deux aviateurs eurent l'occasion d'écrire une lettre d'apaisement à leurs anciens logeurs, et de revoir Jeanne Truyens la veille de leur départ "pour l'Angleterre". Grâce à ce subterfuge, Truyens présente "Charles" à "Claire". Il devrait s'agir de Jean-Baptiste Henry, et non de Charles de Hepcée, le patron de Rochus qui est en France à ce moment et sur le point d'être arrêté. Henry est un collaborateur direct de Louis Foulon. Le général von Falkenhausen n'étant pas disponible, Kohl demande l'avis de l'ambassadeur allemand. Ce dernier est d'accord de les couvrir si nécessaire et Möhring décide de l'arrestation de Foulon.

Louis Foulon est arrêté le 22 août et est libéré dans le train fantôme, tout comme Jeanne Truyens et son mari qui avaient été arrêtés le 28 juillet. Lors de son interrogatoire, Truyens apprend que "Claire" l'avait piégée.

Ces deux aviateurs de l'affaire Foulon qui sont restés un certain temps au Chenil, font également partie des rescapés du train fantôme. Il pourrait bien s'agir - par élimination - de Robert Auda et Thomas Smith. Mais cela n'est pas encore vérifié, car les rapports de Auda et Smith sont tout bonnement vides de renseignements.

Les interrogateurs allemands

Les divers rapports des aviateurs nous décrivent toujours les mêmes ex-agents de l'Abwehr, passés maintenant sous le commandement du parti nazi au sein de la nouvelle structure du Fat 362. Ce Fat 362, dépendant du Fak 307, est responsable pour la Belgique et les Pays-Bas.

Des éléments du procès de Dezitter étudiés par Sandra Maes, il ressort que les chauffeurs amenant les aviateurs du Chenil à la première annexe de l'Avenue Louise sont quasi toujours les mêmes trois agents allemands : Rudolf Kohl, l'agent traitant direct de Prosper Dezitter ; son assistant et remplaçant Hans Jess ; ou même Georg Bödiker, devenu le patron du Fat 362 après avoir été à l'Anst (Abwehrnebenstelle) de Charleroi et à l'Ast IIIf de Bruxelles.

Une fois arrivés à l'ancien QG de la Gestapo de l'Avenue Louise, les aviateurs y sont interrogés et leurs interrogatoires se poursuivent à Saint-Gilles ou parfois encore à nouveau à l'Avenue Louise. Il est à noter que ces aviateurs parlent systématiquement du QG de la Luftwaffe. Il doit donc vraisemblablement s'agir d'anciens membres de la GFP Luft 743 de la Rue Charles Legrelle ou du 2 Boulevard Brand Wittlock.

Lors de l'un de ses interrogatoires, le Flying Officer canadien William Cunningham peut lire sur des enveloppes déposées sur le bureau de son interrogateur, que celui-ci est Karl Wasserman de Francfort. Les aviateurs, rassemblés à Saint-Gilles et communiquant entre eux, les affubleront de trois surnoms : Freddy, Charlie et Johnny.

Les évadés passés par le Chenil

  1. En mai de Micheline Cyprès : Rudolf VAN VEEN, agent du Bureau van Inlichting néerlandais (libéré à Bourg-Léopold le 5 septembre) et deux pilotes alliés non encore identifiés. Il n'est pas certain que ce soient le Fl/Off Stuart McGREGOR RNZAF et le T/Sgt Louis RABINOVITZ USAAF (Stalag Luft 4 et 6).

  2. Le 22 juin de Diest : le Fl/Off W J ELLIOTT RAF (Train Fantôme) et le Sgt Maurice MUIR RAF (Train Fantôme)

  3. Le 03 juillet du Groupe G : le 1 Lt Rexford H. Jr DETTRE USAAF (Stalag Luft 3) et le Capt Richard SCOTT USAAF (Stalag Luft 3)

  4. Le ± 07 juillet à Bruxelles : le S/Sgt William R SINK USAAF (Stalag Luft 4)

  5. Le 08 juillet du Groupe G : le S/Sgt Thomas J. McQUEEN USAAF (Stalag Luft 7) et le 1 Lt Charles W. QUIRK USAAF (Stalag Luft 7)

  6. Le 14 juillet à Bruxelles : le 1 Lt Wallis O COZZENS USAAF (Train Fantôme) et le Lt William G. RYCKMAN USAAF (Train Fantôme)

  7. 21/27 juillet de Diest : 2 Lt William G BAER II USAAF (Stalag Luft 3)

  8. Le 22 juillet du Groupe G : le Fl/Off William CUNNINGHAM RCAF (Train Fantôme) et le F/Sgt Joseph W N MURPHY RNZAF (Train Fantôme)

  9. Le 1er août de l'AS de Tournai : le Sgt Roy C BROWN RCAF, le 1 Lt James G LEVEY USAAF, le S/Sgt William R MUSE USAAF, le Fl/Off Leon PANZER RCAF et le 2 Lt J H SINGLETON USAAF, tous libérés dans le Train Fantôme

  10. Le 02 août du Groupe G : le 2 Lt George A CAMPBELL USAAF (Stalag Luft 7), le Fl/Off Thomas DOWBIGGIN RCAF (Stalag Luft 3) et le S/Sgt Donald W PIERCE USAAF (Stalag Luft 7)

  11. Le 09 août du Groupe G : le S/Sgt Charles HILLIS USAAF (Train Fantôme) et le Donald H SWANSON USAAF (Train Fantôme)

  12. Vers le 12 août de l'affaire Foulon ? : le 2 Lt Robert F. AUDA USAAF (Train Fantôme) et le 2 Lt Thomas P SMITH USAAF (Train Fantôme)

  13. Vers le 14 août de Diest : le T/Sgt Kenneth C HOLCOMB USAAF (Train Fantôme) et le S/Sgt Cecil D SPENCE USAAF (Train Fantôme)

  14. Vers le août du Groupe G : Alexander KLAPLINN URSS et Michail TRAPESNEKOWOFF URSS (sort inconnu)

  15. Le 15 août de l'AS de Tournai et Mons : le Sgt Harry J BLAIR Jr. USAAF (Train Fantôme), le S/Sgt James M WAGNER USAAF (Train Fantôme) et le Sgt William MASON RAF (Train Fantôme)

  16. Le 24 août de l'AS de Tournai : le Sgt Hugh C. BOMAR USAAF (Train Fantôme) et le S/Sgt Ray SMITH USAAF (Train Fantôme)

  17. Le 24 août de l'AS de Tournai : le Sgt N R BEAMISH RAF (Train Fantôme), le Fl/Sgt Lancelot R BODEY RAAF (Train Fantôme) et le 2 Lt Theodore H KLEINMAN USAAF (Train Fantôme)

  18. A une date indéterminée du Groupe G : le 1 Lt James MONAHAN USAAF (Stalag Luft ?) qui a logé chez Gaston Bouillon.

Philippe Connart – 2011.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters