Aviateurs de l'opération Marathon

Dernière mise à jour le 29 juillet 2024.

Russell Edgar TICKNER / O-694819
RFD N° 4, Fairfield, Illinois, USA
Né le 25 août 1921 à Fairfield, Wayne County, Illinois / † le 10 août 1994 à Conroe, Texas
Lt, USAAF 491 Bomber Group 852 Bomber Squadron, bombardier
Lieu d'atterrissage : près de Beaumont-sur-Oise, Val d’Oise, France, vers 21 heures GMT.
Boeing Liberator B-24H-30-FO, n° série 42-95310, 3Q-W, abattu par la Flak lors d'une mission sur l’aérodrome de Brétigny-sur-Orge, au sud de Paris le 2 juin 1944
Écrasé vers 21h14 heure continentale entre Bernes-sur-Oise et Bruyères-sur-Oise, à 3 km au nord-est de Beaumont-sur-Oise, Val d’Oise, France.
Durée : 14 semaines
Camps Marathon : Fréteval

Informations complémentaires :

Rapport de perte d'équipage MACR 5391. Rapport d'évasion E&E 1006 disponible en ligne.

Ce qui suit a été rédigé sur base notamment des différents documents militaires américains (rapports MACR, E&E, etc), d’archives de Comète, de détails repris dans le livre écrit par Jan Tickner, veuve de Russell – voir en bas de page. Beaucoup de dates, de noms de lieux, de noms de personnes ne sont pas précisés. Respectant les consignes de sécurité, Russell n’a pas mémorisé tous les noms d’individus l’ayant aidé et dans son rapport d’évasion, il ne cite nommément que la famille REMY, Madame DIXIMIER, une "Mme CLAPPER"… Eugene Anderson (voir sa page), s’étant retrouvé chez les REMY avec Tickner ne donne que peu d’autres détails et nous avons tenté au mieux de nous rapprocher des faits.

Les équipages du 491st Bomb Group n’arrivèrent en Angleterre que du 15 au 30 mai 1944. Celui du Lt Evans, pilote de Tickner, faisait partie des premiers arrivés, venu des Etats-Unis à bord du Liberator n° 42-110158 "Lucky Buck" ("Dollar Chanceux") qui leur avait été assigné quelques semaines auparavant. C’est sur cet appareil qu’ils avaient effectué des vols d’essai aux USA et un vol d’entraînement seulement en Angleterre. Dans l’après-midi du 2 juin 1944 vint la confirmation que le Groupe effectuerait sa première mission de combat. La déception fur grande lorsque l’équipage du Lt Evans se vit assigner un autre appareil que leur 110158, en réparation. Ils se virent attribuer le 42-95310, qui, comme 35 autres Liberators du Groupe décolla de Metfield, Suffolk à 18h00 heure anglaise.

A l’approche de l’objectif, un obus de la Flak fait sauter le moteur n°1 hors de son logement. Le moteur n° 2 est également touché mais continue à fonctionner. L’avion en feu pique du nez, descend jusqu’à une altitude de 1000m et le pilote Evans en reprend le contrôle avant d’encourir de nouveaux tirs de la Flak. Le moteur n° 2 est mis hors d’usage et des obus atteignent des parties vitales, notamment le système d’intercom. Le moteur n° 3 s’emballe et ne peut être mis en drapeau. Survolant Paris avec un seul moteur et trois tonnes de bombes prêtes à être larguées dans la soute à bombes ouverte, le pilote donne l’ordre d’évacuer l’appareil en perdition alors qu’il se trouve à une trentaine de km au Nord de Paris.


L’équipage du Lieutenant Evans, sans le mitrailleur arrière Raymond Lemay,
devant "leur" B-24 "Lucky Buck" avant leur départ pour l’Angleterre.
Debout, de gauche à droite : le pilote William J. Evans ; le co-pilote Norman Krasnow ; le navigateur Malcolm L. Blue et le bombardier Russell E. Tickner.
Devant, de gauche à droite, le mécanicien Edward F. Reedy ; le mitrailleur gauche Edward J. Friel ; le mitrailleur ventral George E. Countryman ; l’opérateur radio Milton J. Brush Jr et le mitrailleur droit Clare A. Blair
(photo extraite du livre "Our Personal War" de Jan Tickner).

Tous sautent en parachute et, durant leur descente, les hommes subiront le feu des chasseurs allemands. Le mitrailleur arrière, le Sgt Raymond George Lemay, était mort avant de toucher le sol, son corps coupé en deux par la mitraille. Le navigateur, le 2nd Lt Malcolm Leonard Blue, dont le parachute avait été brûlé par des incendiaires, sera tué en touchant le sol. Tous deux, initialement inhumés au cimetière de Beaumont-sur-Oise, reposent au cimetière Américain d’Epinal dans les Vosges, France.

Trois hommes seront immédiatement faits prisonniers : le copilote 2nd Lt Norman Krasnow, le radio/mitrailleur Sgt Milton J. Brush Jr et le mitrailleur ventral Sgt George E. Countryman (que Clare Blair mentionne dans son rapport avoir vu être arrêté). Le mitrailleur gauche Sgt Edward J. Friel, initialement évadé et pris en charge par René et Lina D’HALLENDRE de Neuilly-en-Theille, sera capturé et envoyé en Allemagne par le convoi du 15 août 1944 à destination du camp de concentration de Buchenwald. Comme d’autres aviateurs Alliés, il quittera ce camp le 19 octobre pour se retrouver au Stalag Luft 3 (libéré en fin avril 1945). Outre Russell Tickner (la présente fiche), trois autres hommes réussiront leur évasion : le pilote 1st Lt William J. Evans (caché en France – resté dans le Maquis jusqu’à la Libération – rentré en Angleterre depuis Laval le 23 août 1944 - E&E 1114), le mitrailleur droit Clare Blair et le mécanicien/mitrailleur dorsal Edward Reedy.

Atterri près de Beaumont (Beaumont-sur-Oise, près de Creil), Tickner se tord la cheville droite en touchant brutalement le sol. Son rapport d’évasion, très succinct, indique seulement qu’il est rapidement conduit à Paris et y reste 4 semaines, ajoutant que durant son séjour à Paris, il a rencontré le F.O "Don Forsyth", abattu le 10 juin (il s’agit du F/O Donald Arthur Forsyth, RCAF, J.24214, d’Ottawa, bombardier à bord du Lancaster LM139 du 625 RAF Squadron – Rapport d’évasion SPG 3351/8/221/2357).

Dans le livre écrit par sa veuve (voir en bas de page), Tickner indique qu’après son atterrissage, il dissimule rapidement son parachute entre une clôture et une route. Des soldats allemands passant près de la clôture ne l’aperçoivent pas et Russell se traîne péniblement à travers la route, puis quelques haies pour se réfugier dans des buissons. Pour calmer sa douleur il avale deux comprimés de benzédrine de son kit d’évasion et s’endort profondément jusqu’au matin du 3 juin. Il est réveillé à l’aube par de violents tirs d’artillerie et se rend compte qu’il se trouve à seulement 100m d’une batterie visant un appareil de reconnaissance américain. Les tirs se poursuivirent toute la journée et ce n'est que dans la soirée qu’il commence à longer la route en claudiquant, cherchant de quoi manger et boire. Il aperçoit quelques fermes au loin, s’en approche et, fouillant dans le sol, trouve une plante qu’il va rincer dans une mare toute proche. Mordant dans le légume, il se rend compte qu’il s’agit de rhubarbe, quelque chose qu’il a toujours eu en horreur à la maison. Mais il doit bien s’en contenter et, la nuit approchant, il cherche à se cacher et finit par trouver, à l’extérieur d’un village, une remise à outils de jardinage près d’un grand champ et d’un verger.

Au matin du 4 juin, il est soudainement réveillé par des sons inintelligibles en français, accompagnés de rires sonores. Regardant à travers les fentes de la remise, il voit des hommes, des femmes et des enfants habillés de vêtements de travail usagés et portant des outils rudimentaires. Il se rend alors compte que son abri se trouvait près d’un jardin communautaire du village. Dans le livre, il raconte comment, ce troisième jour, fatigué, affamé et désorienté par manque de vrai sommeil, il finit par s’adresser à une ferme. Il y est bien accueilli, on lui donne à manger et un lit pour se reposer quelque temps. Russell ne précise pas combien de temps il reste là, mais, ses hôtes ayant des contacts avec la Résistance, on lui remet peu après de faux documents d’identité dans lesquels il est repris comme un bûcheron sourd et muet. Le 6 juin, il apprend que les Alliés ont débarqué en Normandie le matin et toute la famille et leurs amis s’assemblent pour fêter la victoire prochaine. On lui donne des vêtements civils provenant de la garde-robe d’un baron, au service duquel ses hôtes travaillaient. Ils sont mal adaptés à sa grande taille (1m80). Il doit garder ses bottes de vol car on ne lui trouve pas de chaussures à sa taille et il se trouve d’autant plus repérable qu’il arbore une chevelure coupée en brosse, fort éloignée du look national. Son apparence lui posera pas mal d’inquiétude lors de son parcours en rue, dans le métro (en région parisienne), croisant parfois des soldats allemands.

Il ne cite pas le nom de cette famille dans le livre, mais dans son rapport, Tickner dit avoir logé en début juin chez M. et Mme George REMY au 73 Rue du Château à "Boulogne-sur-Seine" (= route D102, Boulogne-Billancourt en Hauts-de-Seine). Il ajoute que leur fils, Gervais REMY, 23 ans, l'a conduit à Paris en camion. Le Sgt Eugene Anderson, également arrivé chez les REMY, mentionne y avoir logé une semaine avec Tickner en début juin, ce que le rapport de Tickner ne mentionne pas. Par ailleurs, Anderson indique qu’après avoir logé une semaine chez Gervais REMY, ce dernier les a conduits en camion à Paris. Dans le livre, Russell mentionne avoir vu Anderson pour la première fois, assis à l’arrière du véhicule devant les conduire à Paris... Il se pourrait que comme les REMY avaient apparemment deux adresses dans la localité, Tickner et Anderson aient logé séparément dans cette famille durant la même période...

Tickner et Anderson, renseignent tous deux avoir été guidés de Boulogne-Billancourt jusqu’à Paris par Gervais REMY jusque chez Yvonne DIXIMIER (née en 1893 à Avranches et membre des FFC-Forces Françaises Combattantes) au 8 Rue Jean Moréas à Paris XVIIe. Ils déclarent être restés chez elle "les deux dernières semaines de juin". Yvonne DIXIMIER, quant à elle, les déclare logés du 12 juin au 3 juillet chez elle. Madame Diximier était veuve, son mari lieutenant ayant été tué par les Allemands en 1941 ou 1942. Dans le livre, Tickner ne tarit pas d’éloges quant au courage et au dévouement d’Yvonne à leur égard durant tout leur séjour, malgré les difficultés de ravitaillement et les risques encourus. Russell, respectant les consignes et voulant surtout éviter qu’Yvonne puisse être arrêtée à cause de lui, refuse de l’accompagner au marché ou au cinéma. Anderson, se sentant moins à risque, se risqua une fois à faire des courses au marché avec elle. Intercepté là par un soldat allemand, ses faux papiers le renseignant comme sourd-muet ne créèrent aucun problème, mais Eugene préféra lui aussi s’abstenir par la suite. Dans son rapport, Tickner indique aussi avoir été assisté par une "Mme CLAPPER" (?). Un Kleber Germain THOMMEREAU, du 156 Rue de Paris à Boulogne-Billancourt est renseigné pour de l’aide à Tickner et Anderson, mais nous en ignorons la nature. Il peut y avoir confusion entre "Clapper" et Kleber… Kleber THOMMEREAU, né le 7 avril 1899, est repris comme membre des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) ayant œuvré dans un réseau d’évasion, non-identifié. Dans le livre, Russell indique qu’après avoir quitté l’appartement d’Yvonne DIXIMIER, Anderson et lui ont été conduits à une gare où ils devaient rencontrer leur guide suivant, "René", qu’Anderson nomme "Pierre"…

Venu chercher les deux hommes chez Yvonne, le fils de Georges, Gervais REMY, les conduit à Paris et les remet à "Pierre" (à "René", selon Tickner…), qui les prend en charge le 5 juillet… En fait, ce "René/Pierre" est en réalité Pierre ROBERT, guide pour Comète dans l’opération Marathon. Né à Houdan le 18 mai 1923 et habitant 1 Rue Goethe, Paris 16ème, il est entré dans le réseau Comète en avril 1944, recruté par Yvonne DELPLANCHE. Il portait plusieurs alias, dont celui de "Petit Pierre". Nommé responsable pour la région de Paris le 15 juin 1944, il est chargé d’amener les aviateurs évadés vers Châteaudun. Il mentionne dans son rapport que peu après son entrée en service, il a guidé les 5 premiers qu’il a pris en charge en train de Paris à Dourdan, le reste du voyage jusqu’à Châteaudun (environ 80 km) s’étant fait à pied… Tickner et Anderson figurent en tête de la liste des 56 aviateurs qu’il cite avoir convoyés depuis Paris vers Châteaudun.

Tickner rapporte dans le livre qu’une fois arrivés à Dourdan dans la soirée, ils sont allés dormir dans une étable abandonnée. Le lendemain, au cours de leur marche, Pierre avise un vieil homme conduisant une charrette tirée par un cheval. Les trois hommes montent à bord et, arrivés près d’un village, ils descendent tandis que le fermier s’en va sans leur prêter davantage attention. Ils arrivent ainsi à Auneau (actuellement Auneau-Bleury-Saint-Symphorien), à une vingtaine de km au sud-ouest de Dourdan, où Pierre leur trouve de quoi loger dans un hôtel, vraisemblablement tenu par l’un ou l’autre membre de la Résistance.

Tickner poursuit : Le lendemain, alors que Pierre et les deux aviateurs marchent le long d’une route secondaire, Pierre s’arrête près d’une homme assis au bord de la route. Après une brève discussion, Tickner voit que Pierre remet de l’argent à l’homme, en échange d’un vieux vélo. Pierre enfourche le vélo et pédale hors de leur vue. Tickner et Anderson marchent dans la même direction et peu après Anderson aperçoit le vélo garé près de la route et ils comprennent que Pierre poursuivait entretemps sa marche, un peu en avance sur eux. C’est ainsi que, se relayant à bicyclette, Tickner et Anderson suivent Pierre dans sa marche et arrivent à Châteaudun "après plusieurs jours". Ils avaient passé les nuits précédentes dans des meules de foin. Abandonnant le vélo dans une vieille grange, ils poursuivent leur voyage à pied jusqu’à l’orée d’une forêt. Tickner indique que Jean de Blommaert vint à leur rencontre à un certain moment et les a guidés jusqu’au camp dans la Forêt de Fréteval.

Dans son rapport E&E, Tickner déclare avoir rejoint les camps de Fréteval "vers le 7 juillet". Dans le livre, il mentionne cette arrivée "trois jours avant la fête nationale du 14 juillet", soit le 11…

Dans le livre, Russell a tenu à manifester sa profonde reconnaissance à tous ceux, identifiés ou non, qui l’ont aidé. Il cite également l’efficacité et le courage des Belges, Jean de Blommaert et Lucien Boussa, responsables des camps en Forêt de Fréteval.

Après l’arrivée de troupes américaines le 13 août, Tickner est débriefé le 15 août 44 par le 2nd Lt Richard H. Dana de l’I.S.9 et rentre par avion en Angleterre le lendemain. Interviewé à Londres le 17 août par le Capitaine John White du MI.X. Il reste dans l’USAAF et est instructeur en techniques de bombardement pour les jeunes cadets. Russell est démobilisé le 29 octobre 1945. Il n’a plus jamais revu son compagnon d’évasion Eugene Anderson après la libération du camp.

Russell et sa fiancée Janet se marient le 8 septembre 1945. Ils pensent souvent à se rendre en France pour refaire son parcours d’évadé. Invités en 1966 à l’inauguration le 11 juin 1967 de la stèle érigée à Bellande, en bordure de la Forêt de Fréteval, c’est à contre-cœur qu’ils durent décliner. Ayant travaillé dur toute leur vie, élevé 4 enfants, ayant souvent peine à nouer les deux bouts, ce vieux rêve de voyage en France ne pourra malheureusement jamais se matérialiser.

Son épouse, Janet Tickner (1926-2020), avait écrit un livre : "Our Personal War", publié en octobre 2000 (Eakin Press, Austin, Texas). Merci à la famille Tickner qui nous en a fait parvenir un exemplaire en novembre 2023, ce qui nous a aidé à ajouter quelques détails et photos.


Venus des États-Unis, des membres de la famille Tickner étaient présents à Busloup et Bellande les 6 et 7 juillet 2024 à l’occasion du 80ème anniversaire des camps de Fréteval. Il s’agit de sa fille Nancy Tickner Heintz et son mari Patrick et de son fils Thomas Tickner et son épouse Susan.


Thomas Tickner et sa sœur Nancy Tickner Heintz à Busloup près de la stèle inaugurée le 6 juillet 2024

Susan et Thomas Tickner et Nancy et Patrick Heintz devant le monument de Bellande.

Thomas et Nancy le 7 juillet 2024 devant le panneau consacré à leur père
et réalisé par Marc Doucet pour l’exposition du 80ème à Bellande.

Thomas Tickner, Michel Herbuel et Nancy Tickner Heintz (Bellande 7 juillet 2024)

Merci à Jacky Herbuel Lepage pour ses photos. Jacky est le neveu de notre ami Michel Herbuel, membre du comité organisateur et guide de familles d’aviateurs invitées à ces cérémonies du 80ème.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters