Personne passée par Comète via les Pyrénées

Dernière mise à jour le 3 août 2022.

Robert Thomas CONROY / 0-797272
106 East Broad Street, Burlington, New Jersey, USA.
Né dans le New Jersey le 16 janvier 1921 / † Floride le 22 février 1987.
2nd Lt, USAAF 94th Bomber Group 332rd Bomber Squadron, navigateur.
Lieu d'atterrissage : Berengeville-la-Campagne (Evreux, France).
Boeing B-17 F DL Flying Fortress, 42-3190, QE-W, abattu le 14 juillet 1943 par un chasseur allemand du III/JG2 (Oblt Egon Mayer) lors d'une mission sur Le Bourget/Paris.
Atterrissage forcé en champ à Berengeville-la-Campagne, au nord-ouest d'Evreux, France.
Durée: 10 jours.
Passage des Pyrénées: le 25 juillet 1943.

Informations complémentaires :

Rapport de perte d'équipage MACR 114. Rapport d'évasion E&E 61 disponible en ligne.

Pour cette mission, Robert Conroy, qui appartenait au 332nd BS et non au 333rd, remplaçait le navigateur habituel, Robert Schaefer, blessé à la jambe le 22 juin 1943 à bord du 42-29717, lors d'une mission sur Hüls. L'équipage volait d'habitude sur le XM-Z - 42-29717 "Mr Five By Five" encore en réparation le 14 juillet suite à d'importants dégâts encourus lors de la mission du 22 juin 1943 sur Hüls. Le 42-3190 lui-même était affecté au 331st BS.

L'équipage du 42-3190 pour cette mission : Capt. Kee H. Harrison (Pilote) ; 2nd Lt David H. Turner Jr (Copilote) ; 2nd Lt Robert T. Conroy (Navigateur) ; 2nd Lt Roscoe F. Greene (Bombardier) ; T/Sgt James H. Curtis (Mécanicien) ; T/Sgt Charles H. McNemar (radio) ; S/Sgt Jefferson D. Polk Jr (Mitrailleur ventral) ; les mitrailleurs latéraux S/Sgt Richard H. Lewis et S/Sgt Earl L. Porath et le S/Sgt Eino Asiala (Mitrailleur arrière).

Le B-17 décolle de Bury St Edmunds vers 5h30 du matin. Environ deux heures plus tard, avant d'arriver dans la zone de l'objectif, l'appareil est attaqué par huit Focke-Wulf et, touché en plusieurs endroits, le cockpit en feu, il devient incontrôlable, descendant en piqué.

Outre Robert Conroy, cinq autres membres de l'équipage réussiront à s'évader : Roscoe Greene (E&E 87 - passe les Pyrénées depuis Peyrehorade le 10 août 1943) ; Ken Harrison (E&E 91 - Aidé par Bourgogne, passe les Pyrénées le 18 août 1943) ; Charles McNemar (E&E 110) et Jefferson Polk (E&E 109) passent tous deux les Pyrénées le 2 septembre 1943 tandis que David Turner (E&E 98) est aidé par Bourgogne et passe les Pyrénées le 6 septembre 1943).


Le 41-3190 à Berengeville-la-Campagne.


L'Obertleutnant Egon Mayer du III/JG2 pose sur un moteur du B17 de Conroy, qu'il a abattu.

Après l'atterrissage forcé de l'appareil, Porath et Curtis sont rapidement fait prisonniers. Les huit autres prennent la fuite mais le mitrailleur ventral Richard Lewis et le mitrailleur de queue Eino Asiala seront trahis par un espion français dans la région de Châteauroux, et internés tous deux au Stalag XVIIB à Braunau, Autriche. Ces deux aviateurs seront arrêtés à Paris en compagnie d'un autre, le copilote Frederick Marston du 384th BG, lui aussi abattu le 14 juillet 1943 (copilote du B-17 n° 42-3330).

Conroy et Greene sont les seuls à sauter en parachute avant le crash. Conroy n'entend aucun ordre d'évacuer, mais voit Roscoe Greene endosser son parachute. Il saute juste avant Greene à environ 1200 m au-dessus de la plaine de Louviers dans l'Eure, atterrissant sur le côté d'une colline boisée, son parachute restant pris dans des branches. Ne pouvant dégager le parachute de l'arbre, il décide de le laisser là avant de se diriger vers une ferme en contrebas où les gens lui donnent des vêtements, un béret et des chaussures. Il repart aussitôt mais ne peut se localiser. Ce n'est que dans une autre ferme, où on lui montre une carte départementale, qu'il découvre qu'il a atterri près de Louviers. Un autre jeune fermier, âgé de 24 ans, que l'on avait appelé, le mène alors à sa propre ferme où Conroy dort dans une étable.

Le lendemain, 15 juillet, le fermier et Conroy roulent à vélo jusqu'à la gare de Louviers où le fermier achète deux tickets pour Paris avec 319 FF provenant de l'argent du kit d'évasion de l'aviateur. Le train part à 06h35 et arrive à la gare Saint-Lazare à Paris vers 11h00, après un changement à Saint-Pierre-du-Vauvray. Le fermier, connaissant bien la gare Saint-Lazare, le conduit via une petite sortie latérale et l'accompagne l'espace de deux pâtés de maisons, laissant alors Conroy seul.

Plutôt nerveux et intrigué par le manège d'un homme qui a l'air de le surveiller, Conroy tourne dans la cour d'une maison. Une jeune dame se trouvant dans la cour le mène chez elle dès que Conroy lui déclare être Américain. Il s'agit à n'en pas douter de l'épouse de Lucien Léon DUQUESNE (42 ans, coureur de fond ayant participé aux Jeux Olympiques de 1920, 1924 et 1928), Rue du Mont Doré dans le XVIIe arrondissement. Lucien arrive vers 11h00, ils vont tous trois à un restaurant pour le repas de midi et par la suite DUQUESNE présente l'aviateur à des gens parlant anglais et chez qui Conroy passe la nuit au 5 Rue Caroline. Une lettre du 4 janvier 1945 dans le rapport E&E de Conroy mentionne DUQUESNE ainsi que Mme Lionel HENRY habitant au 5 Rue Caroline dans le XVIIe, dont le mari, citoyen français, était né en Angleterre. Le rapport établi au départ des déclarations de Conroy mentionne que la jeune Mme HENRY était enceinte et, vu la priorité lui donnée vu son état, elle put acheter le 16 juillet un ticket de train pour lui à destination de Bordeaux. La lettre du 04 janvier 1945 indique que c'est le 15 juillet 1944 que Mme HENRY a donné naissance à une petite fille à laquelle on donnera Roberta comme deuxième prénom. Soit Mme HENRY n'était pas enceinte lors du séjour de Conroy chez elle, soit elle avait feint de l'être, soit Conroy, qui ne comprenait que très peu le français, avait mal compris… ( ?)

Quoiqu'il en soit, comme une alerte aérienne empêche Conroy de prendre le premier train du 17 en gare d'Austerlitz, Lucien DUQUESNE lui conseille d'y prendre l'express de 21h30 le 18 juillet, convoi nocturne du dimanche dont on lui avait dit qu'il était généralement moins contrôlé. Madame HENRY lui prépare de quoi manger en route et les époux DUQUESNE mènent Conroy à la gare d'Austerlitz et y achètent son ticket bien à l'avance. Le groupe ressort de la gare et va attendre dans un parc voisin. Conroy monte dans le train à 20h45, mais voyant pas mal de soldats allemands sur les quais, il quitte son wagon, déambule sur le quai et saute à la dernière minute dans le wagon à bagages. En cours de trajet, des employés du chemin de fer répondent positivement à ses demandes de conseils, l'un d'eux lui conseillant de se diriger plutôt vers Bayonne après Bordeaux. Arrivé en gare de Bordeaux il voit que l'on contrôle tout le monde. Il monte alors dans un train à l'arrêt en voie centrale, le traverse et quitte la gare par un petit accès à la rue.

Le 19 juillet, vers 10h00, Conroy se met en route vers le sud et après une vingtaine de minutes de marche, il atteint Le Bouscaut, dans la banlieue sud de Bordeaux. Apercevant des soldats Allemands, il se réfugie dans une église où il s'endort. A son réveil, il cherche un vêtement d'ecclésiastique mais n'en trouve pas. Il constate que les soldats allemands sont partis et vers 14h00, il quitte le quartier, se dirigeant vers le nord-est avant de bifurquer vers la droite pour atteindre la route principale vers Bayonne. Il prend alors la direction d'Orthez vers l'Est, marche pendant 7 à 8 km avant de suivre un chemin menant à une rivière, l'Adour. Il longe ce cours d'eau et dort un peu dans un champ.

Vers 02h00 du matin le 20 juillet, il poursuit sa route le long de l'Adour jusqu'à un pont où il prend la direction d'Urt. Passé le pont, Conroy s'adresse à un Français et lui demande des renseignements quant aux trains et à ses chances de pouvoir traverser la ligne de démarcation en vue d'atteindre Bayonne. L'homme lui conseille de suivre la rivière jusqu'à Guiche et Sames (deux villages voisins l'un de l'autre). Conroy compte y monter dans un train, mais le chef de gare le lui déconseille, vu la rigueur et le grand nombre des contrôles. Un train arrive et une vingtaine de soldats allemands en débarquent. Se mêlant à la foule, Conroy décide de sortir de la gare. Il aborde une Française à laquelle il déclare son identité. La jeune fille le guide vers un restaurant à Guiche et Sames dont les propriétaires connaissent une famille qui avait aidé un aviateur de la RAF plusieurs mois auparavant. Il s'agit de la famille basque ETCHEVERRY "à Peyrehorade", qui est en liaison avec Comète. Une page manuscrite du rapport de Conroy mentionne " Maisonnave " et comme ce nom y est lié aux ETCHEVERRY, il se pourrait que ce soit la ferme Maisonnave, entre Saint-Barthélémy et Lataillade, à une dizaine de km au nord-ouest d'Urt.

Conroy loge donc une première nuit chez les ETCHEVERRY et le mercredi 21, la jeune fille prend le train pour Peyrehorade afin de contacter des résistants du CDLL (Ceux De La Libération). Dans la soirée, Conroy voit arriver chez les ETCHEVERRY un homme et une femme de l'organisation. L'homme lui dit qu'il a arrangé un transfert de Conroy en voiture pour le surlendemain vers Peyrehorade. Le jeudi 22, ce couple revient et on emmène donc Conroy dans un hôtel-restaurant de Peyrehorade où il passe la nuit. C'est ou chez Louis Lesgourgues (hôtel La Roseraie) ou chez Henri et Charlotte Castagnet.

Selon le rapport de Conroy, un homme âgé, très digne, vient lui apporter des vêtements et le lendemain 23 juillet au matin, Conroy prend un train, en descend dans une ville un peu à l'est de Bayonne et rejoint cette dernière ville à pied. Il y rentre dans une boulangerie qui lui avait été renseignée et de là on le mène ensuite vers une bijouterie, d'où vers midi on le conduit pour le prendre en photo. D'après d'autres sources, c'est en voiture qu'il aurait été conduit à Bayonne et vraisemblablement par Ernest Emile "Fernand" HOUGET, puisque sa fille Denise fournit l'adresse exacte de Conroy en 1946… ( ?)

Poursuivons le récit de Conroy : Comme les photos ne seraient pas prêtes avant 15h00 ce 23 juillet, il semble que l'on décide de ne pas attendre qu'elles soient disponibles et de faire partir Conroy immédiatement. On apporte deux vélos et un homme roule devant lui jusqu'à un point à 3 km au-delà d'un quartier-général de l'organisation TODT. Ils s'arrêtent ensuite après encore 1 km et se cachent dans un bois.

Selon Conroy, c'est là qu'on amène Bernard Kœnig, accompagné de son guide "Alexandre" (le pseudo de Jean-François NOTHOMB pour la section d'Eugène D'HALLENDRE à Lille), et après une courte conversation Conroy et Koenig sont guidés vers une station d'essence (Koenig parle d'un café…) où ils rencontrent deux aviateurs de la RAF, William Murphy et Robert Barckley, de même que le Belge Ronald Watteeuw. Il semble que ce soit à l'auberge Larre de Marthe MENDIARA à Sutar.

Le groupe prend un léger repas et vers 18h00 part à vélo en direction de Saint-Jean-de-Luz. Un jeune garçon vient à leur rencontre pour signaler que deux Français avaient été arrêtés 10 minutes auparavant sur la route qu'ils suivent. Les évadés arrivent finalement vers 20h30 à Saint-Jean-de-Luz, qu'ils traversent pour atteindre une digue près de laquelle Conroy et Barckley cachent leurs vélos dans l'herbe.

Toujours d'après Conroy, dont le rapport est très détaillé, le 24 juillet, le guide "Alexandre" / "Franco", qui avait accompagné Koenig, va chercher trois femmes (dont Denise HOUGET) qui semblent être importantes au sein de l'organisation et qui leur apportent de la nourriture et de nouveaux papiers. A la nuit tombée, par paires, les évadés accompagnent les femmes vers une voie de chemin de fer où, vers 23h00 ils sont rejoints par des guides et deux femmes, évadées elles aussi selon Conroy, qui nomme un guide " Florencio "… (Les deux "évadées" sont Leslie de Biziens et Henriette Benech.)

Le groupe passe la frontière dans la nuit du 24 au 25 juillet dans ce 49ème passage de Comète par Saint-Jean-de-Luz et la Bidassoa. A une quinzaine de kilomètres de la frontière, ils s'arrêtent à une ferme espagnole où ils se reposent. Les femmes (les 2 évadées) les quittent tandis que le reste du groupe descend vers un village (que Conroy ne nomme pas, mais qui est Renteria). De Renteria, toujours le 25 juillet 1943, ils prennent un tram jusque San Sebastian. NOTHOMB retourne en France et Ronnie WATTEEUW est semble-t-il séparé du groupe qui est conduit à Madrid. (Selon un rapport de WATTEEUW - voir sa page - les quatre aviateurs dont Conroy ont fait le voyage avec lui depuis Dax jusqu'à Gibraltar…indiquant que le voyage vers San Sebastian s'est fait en auto, que de là ils ont été ensemble également en auto jusqu'à Madrid, puis à Malaga, d'où ils sont passés "en barque" jusque Gibraltar où ils arrivent le 5 août…)

Dans son rapport, Conroy indique qu'à partir de leur arrivée à San Sebastian lui et Murphy voyagent ensuite à deux pour aller loger dans un appartement près de l'Hôtel Continental jusqu'au 27 juillet. Ils reçoivent là la visite de Michael CRESWELL, l'agent du MI-9 à l'ambassade britannique de Madrid, qui les amène en voiture à la capitale espagnole. Les deux hommes logent là à l'Hôtel Mora jusqu'au 05 août et arrivent à Gibraltar le 09 août 1943 (date reprise dans le rapport de Conroy). Conroy est interviewé le même jour par le Major Lewis et il quitte Gibraltar par avion le soir du 11 à destination de l'Angleterre où il arrive le 12 août à 07h30.

Merci à Loïc Lemarchand, de Normandie, pour ses informations. Loic a écrit un livre "Bel atterrissage Capitaine" au sujet du 42-3190 et de son équipage (Editions Cheminements, France - 2008).


(c) Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters