Aviateurs de l'opération Marathon

Dernière mise à jour le 2 août 2024.

Thomas Bertram CHAPMAN (“Bert”) / R/174900
Box 69, Springhill, Nova Scotia, Canada.
Né le 13 septembre 1923 dans le Chapman Settlement, Nova Scotia, Canada / † le 16 juin 2007 à Amherst, Cumberland, Nova Scotia, Canada
Sgt RCAF, RAF Bomber Command 429 Squadron, mitrailleur arrière.
Lieu d'atterrissage : entre La Loupe et Friaize, Eure-et-Loir, France
Handley Page Halifax B Mk.III / AVII, LV973, AL-X, abattu par des chasseurs Ju88 (dont vraisemblablement celui de Paul Semlau, Commandant du II/NJG.2) dans la nuit du 10 au 11 juin 1944 lors d'une mission sur la gare de triage de Versailles-Matelots, Yvelines, France.
Écrasé au Bois de la Porte, à 2 km au sud-ouest de Friaize, Eure-et-Loir, France.
Durée : 2 mois.
Camps Marathon : Fréteval.

Informations complémentaires :

Rapport d'évasion SPG 3321/2101 (indisponible).

Le Halifax décolle d’East Moor vers 22h30 heure anglaise. La visibilité n’est pas suffisante à hauteur de la cible et le Halifax doit faire demi-tour, survolant la région parisienne. Il arrive à nouveau au-dessus de la gare de Versailles avec 15 à 20 minutes de retard par rapport à l’horaire prévu. Les bombes sont larguées sur l’objectif, mais ce retard a permis à la chasse allemande de le repérer et à environ 01h00, sur le vol de retour, volant à environ 1800 m, il est attaqué par deux Ju88, dont l’un l’atteint sur l’aile gauche et le long du fuselage où un petit incendie se déclare du côté gauche. Le pilote, F/Lt Alexander MacDonald, RCAF, 23 ans, de Stamford, Ontario, dont c’est la 32ème opération, effectue des manœuvres d’évitement, le moteur extérieur gauche, dont sortent des flammes et des étincelles, doit être mis en drapeau, un autre moteur lâche. Les mitrailleurs réagissent à l’attaque et atteignent les chasseurs, amenant la perte d’un Ju88, l’autre, endommagé, abandonnant la partie. Le pilote MacDonald donne l’ordre d’évacuer l’appareil, devenu hors de contrôle et ne volant alors qu’à seulement 900 m d’altitude. Resté à bord de l’appareil jusqu’au dernier moment pour permettre à tout son équipage de sauter, il le quittera trop près du sol pour que son parachute puisse s’ouvrir. Le seul tué, son corps sera trouvé au pied d’un arbre, non loin des débris de l’appareil. Il repose dans le cimetière de l’église de Friaize. Les habitants de ce petit village le considèrent avec un immense respect, persuadés que ses qualités de pilote ont permis que son appareil ne s’écrase pas sur le village même. Thomas Chapman n’a jamais compris pourquoi son pilote MacDonald n’ait jamais reçu aucune décoration ni aucune mention malgré ses qualités exceptionnelles de pilote. Il avait effectué son quota de 30 missions lors du D-Day le 6 juin, mais reçut du Wing Commander Alan F. Avant (commandant du 429 Squadron depuis le 1er mai) l’ordre de retourner en opérations, ce qui dérogeait à la procédure habituelle. Le commandement avait apparemment jugé ne pas pouvoir se passer, lors de l’invasion, de celui qui avait la réputation dans le Groupe d’en être le meilleur pilote, avec le meilleur équipage. MacDonald n’avait pas rechigné et fit encore deux opérations, perdant la vie en sauvant son équipage.


Alexander MacDonald et sa tombe à Friaize.

Outre Thomas Chapman, dont c’était la 30ème mission, cinq autres membres de l’équipage parviendront à s’évader : le mécanicien Sgt Norman McCarthy, le navigateur Fl/Off William Shields, le bombardier P/Off Joseph Mollison , le mitrailleur dorsal Sgt James Calderbank et l’opérateur radio F/Sgt Henry Guild.

Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur le parcours d’évasion de Thomas Chapman. Dans un article du 27 mars 1999 publié dans “The Citizen” d’Ottawa, dont son petit-fils Robert nous a fait parvenir une copie, il déclare qu’il atterrit dans un pré, près d’une zone boisée. Il a des bleus partout et le poignet foulé. Il dissimule son parachute puis, perdu et désorienté, il se cache dans la forêt jusqu’au matin, avant de se mettre à marcher vers le sud à l’aide de la boussole de son kit d’évasion. Après 3 jours à marcher et se cacher, affamé, il se décide à frapper à la porte d’une ferme, après s’être assuré qu’aucun fil de téléphone n’était rattaché aux bâtiments. Heureusement, bien que nerveux et apeurés, les occupants l’ont fait entrer, lui ont donné à manger et soigné ses blessures. Il leur demande s’ils ont des contacts avec la Résistance et un instituteur local, parlant très bien l’anglais, est contacté. Ce dernier le mène à la pension de famille où il logeait et l’a gardé pendant deux semaines. Après un contact de l’instituteur avec la Résistance, deux de ses membres vinrent le voir. Le reportage du journal mentionne qu’après avoir pu les convaincre qu’il était bien un aviateur Allié, il est mené ensuite vers un camp où environ une centaine d’autres aviateurs sont cachés et où il est rejoint par la suite par cinq membres de son équipage, arrivant par intervalles. [Note : cette dernière phrase fait référence au camp secret en Forêt de Fréteval, ultime étape de son évasion – voir plus bas.]

Il ne mentionne aucun nom dans l’article en question, mais nous avons appris de nombreux détails, via son petit-fils Robert P. Chapman, qui nous a contactés en février 2024, en liaison avec la commémoration en juillet 2024 des 80 ans de la création des camps secrets en Forêt de Fréteval. Le dernier à quitter l’appareil avant son pilote, Chapman atterrit dans un champ en bordure de la Forêt de Champrond-en-Gâtine, à quelques kilomètres à l’ouest de Friaize. Il est renseigné comme récupéré dans un bois, près de la ferme JANQUET/JAUQUET (?), par Jean LAPORTE, Lieutenant des F.F.I. (Forces Françaises de l’Intérieur). Portant des vêtements civils échangés avec Jean, Thomas est mené par ce dernier à vélo (un tandem, selon ses souvenirs) à Happonvilliers, chez Béatrice CHONION et sa fille Yvette. Cette dernière était fiancée à Jean LAPORTE et nous pensons que celui-ci se cachait chez elles. Chapman y est soigné, puis hébergé pendant 15 jours. Il est ensuite guidé par Jean vers le maquis de Plainville. Ce camp de la Résistance était situé sur le hameau de Saint-Hilaire-des-Noyers, proche de la commune de Marolles-les-Buis, à quelques kilomètres au nord-est de Nogent-le-Rotrou.


Lettre de la mère de Jean LAPORTE adressée à Thomas Chapman pour s’enquérir de son retour au Canada
et lui apprendre le sort de son fils (source : Robert P. Chapman, petit-fils de l’aviateur, en mars 2024)

Jean Robert Raymond LAPORTE, né le 22 juin 1920 à Vénesville (Seine-Inférieure), aujourd’hui Butot-Vénesville, Seine-Maritime, était instituteur intérimaire dans le Département de Seine-Inférieure, replié à Happonvilliers en Eure-et-Loir. Ayant rejoint le mouvement Libé-Nord en juin 1944, il fut intégré au Maquis de Plainville en tant que chef d’Equipe 2 du Groupe III. Promu chef de groupe le 14 juillet, puis Aspirant F.F.I. le 2 août, il est blessé le 8 mais reprend le combat le 11 pour la libération de Nogent-le-Rotrou. Le 15 août 1944 à Marboué, en compagnie de quelques camarades Résistants, il accompagne et aide à guider une colonne blindée américaine (la Company B du 23rd Armored Infantry Battalion, faisant partie de la 7th Armored Division) en reconnaissance en direction de Châteaudun. A l’approche de Marboué, au nord de la localité, la colonne tombe sur une embuscade et les tirs allemands touchent Jean LAPORTE, qui ne survivra pas à ses blessures. Une stèle commémorative de la 7th Armored Division devant le cimetière de Marboué reprend le nom de Jean parmi les 11 qui y figurent, dont ceux des soldats américains qui perdirent la vie à Marboué ce jour-là.

Thomas Chapman est toujours resté discret sur les détails de son évasion. Selon son petit-fils Robert, il a toujours fait comprendre qu’il souhaitait respecter son engagement, signé après son debriefing, de ne rien dévoiler concernant son parcours français. Il a seulement rapporté qu’après les premiers jours, il a rejoint à vélo un point de rendez-vous, puis a été conduit en auto vers le camp de Fréteval où il a été introduit par Jean de BLOMMAERT. Nous ignorons donc tout du séjour de Thomas au Maquis de Plainville (combien de temps y est-il resté ?) et de la suite de son parcours. Le récit de son mécanicien Norman McCarthy nous en apprend un peu plus. Alors que McCarthy se trouvait, peu de temps après son atterrissage, chez Félix et Denise BACCHI à Chassant, à 3 km au sud de Combres, en Eure-et-Loir, en compagnie de ses coéquipiers Shields et Guild, ils virent y arriver Thomas Chapman peu avant leur départ.

Chapman, McCarthy, Guild et Shields (cela se passe "le 17 juin" selon ce dernier, mais nous pensons que ce serait plutôt le 27…) se trouvent à bord de la camionnette de MAUPIN (au volant), en compagnie de deux Résistants armés de mitraillettes Sten, roulant vers Châteaudun. Après la traversée de la ville, MAUPIN les dépose dans une zone boisée de la vallée de "la Loire" (sic) [Il s’agit en fait de la vallée du Loir, rivière qui passe à Châteaudun et, plus au sud, non loin de la Forêt de Fréteval]. Les quatre évadés se mettent à l’abri d’une haie et attendent plusieurs heures l’arrivée de leur contact suivant. McCarthy rapporte qu’ils fumaient des cigarettes "Gauloises" pour calmer leur impatience et étaient en train de tirer sur leurs cigarettes lorsqu’ils virent "Jean" arriver à vélo. Grand, élancé, vêtu d’une veste à carreaux et de pantalons de golf, Jean parle parfaitement l’anglais et se présente. McCarthy ne le nomme pas dans son rapport, mais il s’agit de Jean de Blommaert.

de BLOMMAERT leur déclare qu’une longue marche les attend. McCarthy, toujours handicapé par sa cheville, ne peut marcher et est pris en selle sur le vélo de de BLOMMAERT, que tous, en marchant, poussent à tour de rôle. Le long de chemins, à travers bois, ils arrivent finalement (vers le 7 ou le 9 juillet ?) au camp de Bellande, près de Busloup où se trouvait déjà leur mitrailleur Calderbank, leur bombardier Mollison les rejoignant un peu plus tard.

Thomas Chapman resta au Camp de Fréteval jusqu'à l'arrivée des troupes américaines le 13 août 1944. Il quitta la France par avion le 18 août 1944 et arriva le même jour à Northolt en Angleterre.


Thomas Chapman (identifié par son petit-fils Robert) et Ebrahim Adams
dans le camp (photo de la collection de William Brayley)

Photo jointe à un article concernant son retour en Angleterre en septembre 1944

Le 31 octobre 1944, Thomas Chapman rentra enfin chez lui et retrouva ses parents et sa femme Inez, qu’il avait épousé le 19 juin 1943, une semaine avant de partir pour l’Europe, via Halifax et New York, d’où il fit la traversée sur le "Queen Mary", arrivant à Gourock en Écosse le 29.


Photo de mariage (via Robert Chapman)

Thomas Chapman fut démobilisé de la RCAF à Halifax, Nova Scotia, Canada le 1er février 1945. Invité pour l’inauguration de la stèle commémorative à Bellande en mai 1967, Thomas ne put malheureusement pas y assister. Trop pris par la gestion de l’Hôtel Carleton à Springhill reprise de ses parents, de même que par celle de ses affaires de taxis, d’autocars, d’un ensemble d’appartements, ainsi qu’avec son épouse, de l’éducation de leurs cinq enfants, dont l’un terminait alors son enseignement secondaire. Il n’eut d’ailleurs par la suite, jamais la possibilité de faire le voyage vers la France.


Photo de Thomas Chapman accompagnant l’article dans “The Citizen”, Ottawa, Canada, le 27 mars 1999
(via son petit-fils Robert)

Son petit-fils, Robert P. Chapman, est passé plusieurs fois à Bellande et Villebout, notamment en 2008, année où la photo en bas de page a été prise, le montrant devant le monument érigé en 1967 en bordure de la forêt. Robert, professeur d’histoire, nous a écrit pour dire que son grand-père avait été tellement affecté par le sort tragique de l’instituteur Jean LAPORTE, qu’après la guerre, grâce à l’argent qu’il avait pu gagner, il avait acheté une flotte de bus scolaires, facilitant ainsi au fil des années le voyage de milliers d’enfants vers des écoles souvent éloignées de leur domicile. Ayant été lui-même passager occasionnel et impressionné par le geste de son grand-père, Robert a décidé de transmettre à la jeunesse l’importance de la démocratie et de la connaissance du passé. Il enseigne l’Histoire à la Hazen White-Saint Francis School à Saint John, New Brunswick.


Thomas Chapman, le 2ème depuis la gauche, en compagnie de quelques-uns de ses chauffeurs,
dont son fils, Tom B. Chapman (le père de Robert), alors qu’il était lui-même étudiant…
(Photo ca 1970 à Truro, Nova Scotia, via Robert P. Chapman)

Les photos en médaillon nous ont été transmises en mars et avril 2024 par Robert que nous remercions chaleureusement ici pour toute l’aide qu’il nous a apportée à la rédaction de nos pages sur l’équipage du Halifax LV973.


Robert Chapman a Bellande en 2008.

Décédé en 2007, Thomas Chapman repose auprès de son épouse Inez (1923-2012) au Lorneville United Church Cemetery à Lorneville, Nova Scotia, Canada.

Venu du Canada, Robert Chapman était présent à Busloup, Villebout et Bellande avec son épouse Amy et leur fille Alison en juillet 2024 pour les commémorations du 80ème anniversaire des camps. La photo ci-dessous montre Robert devant le panneau consacré à l’équipage de son père et réalisé par Marc Doucet pour l’exposition de matériel, maquettes, photos, etc organisée à cette occasion.




Robert Chapman près de la stèle inaugurée à Busloup – 6 juillet 2024


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters