Personne passée à une autre ligne d'évasion

Dernière mise à jour le 21 juillet 2012.

Colin Patrick Haworth GRANNUM / 155216 & 655315
Freemason Lodge, 26 Arnold Road, Kingston, Jamaica
Né le 19 septembre 1918 à Kingston, Jamaica / en août 1998
F/Lt RAF Bomber Command 12 Squadron, pilote
près de Banneux, Province de Liège, Belgique.
A.V. Roe Lancaster MkIII, JB650, PH-E, perdu lors de la mission du 27-28 janvier 1944 sur Berlin.
Ecrasé entre Gomzé et Andoumont, à environ 13km au sud-ouest de Verviers, Province de Liège, Belgique.
Durée : 7 mois.
Arrivé en Suisse le 9 mai, rapatrié vers l’Angleterre à la fin août 1944.

Informations complémentaires :

Rapport d’évasion SPG 3324/2595, commun à lui et à son co-équipier J. Quinn.

Le Lancaster décolle de Wickenby à 17h16 et, pour une raison inconnue, s’écrase près de Gomzé-Andoumont. Le mitrailleur Ken Singleton, d’abord évadé, semble avoir été arrêté (prisonnier n° 3210 au Stalag 257) en même temps que le mitrailleur arrière, le Sgt H. Owen, vu que ce dernier porte le n° de prisonnier 3211 au même Stalag 357. Le P/O David Raymond Murphy, Irlandais du Nord, sera arrêté le 12 mai 1944 à Tarbes, Hautes-Pyrénées, France (prisonnier N° 1159 au Stalag Luft 1).

Les quatre autres réussiront leur évasion. Il s’agit de Colin Grannum (la présente fiche), de John Quinn, du P/O Roland George Hoare (SPG 3320/2003 - évacué par le groupe Françoise vers les Pyrénées - quitte Gibraltar le 24 juin 1944 à destination de l’Angleterre) et du P/O Robert Henry Taylor (rapport d’évasion IS9-3350-MB/1485 - libéré par des troupes américaines le 10 septembre 1944 et qui trouvera la mort à bord du Wellington NC921 du 81 OTU le 18 mai 1945).

Selon le rapport d’activités de la Section RAVET de Louveigné, Colin Grannum est récupéré le 29 février par Alfred FAFCHAMPS, de Liège, hébergeur pour la Section. Il est ensuite confié, via Thérèse DELAISSE, à KAUFMANN de la Section Joseph BRASSEUR. [Note : Le nom de Joseph BRASSEUR est cité dans un texte de Marie DEFOSSE écrit à l’attention de Goffinet McLaren, fille de l’aviateur Thomas H. Hutton, sauté par erreur du Lancaster W4366 le 17 avril 1943, évadé et caché pendant 6 semaines chez les parents de Marie, Arthur et Zénorine DEFOSSE à Sprimont. Marie DEFOSSE se souvient que quelques jours après avoir amené le P/O Jack G. Blandford (Lancaster DV285 abattu 26-37 novembre 1943 – SPG ?) chez ses parents, Joseph BRASSEUR, propriétaire d’un garage à Sprimont, est arrivé avec "Collyn, un ressortissant jamaïcain", qui, voyant Blandford, lui a dit "Vous êtes un aviateur anglais. Je vous reconnais, vous m’avez donné cours à… (tel endroit)". Marie DEFOSSE ne date pas cette rencontre chez ses parents ni la durée de son séjour, mais il est évident qu’il s’agit bien de Colin Grannum.]

Par la suite, Grannum est remis à René COLLARD qui le passe, en compagnie d’autres évadés, à Georges MATTON de Louveigné (Groupe Joseph DRION) qui les prend en charge au rendez-vous à Liège, soit à l’Institut Saint-Joseph, soit à l’Eglise Saint-Pholien. On rapporte que Grannum, le S/Sgt Benjamin H. StJohn (E&E 2350 - à bord du B-17 42-31040 abattu le 29 janvier 1944, celui de Meyles Sheppard et Frank Paisano) et un Russe, PODROUKINE, sont remis en début mars par DEBOIS de Herstal à DELAITE à Rienne, près de la frontière française.

Grannum, comme Quinn, figure dans la liste des aviateurs venant de la Résistance liégeoise et aidés par la Ligne Dragon (fondée en 1941 par l’Abbé Jules GRANDJEAN de Willerzie, aidé par sa sœur Maria). Un rapport de la Ligne Dragon/Comète indique que les deux hommes ont été cachés au presbytère de Willerzie. On y signale également que Grannum et Quinn ont été logés chez "Paquet et Bruck". Il s’agit de Désiré PAQUAY et d’Émile BRUCK et son fils Albert, tous deux brigadiers forestiers à Willerzie.

Roland Hoare et David Murphy, du JB650 de Grannum, de même qu’un nommé Foster et le F/Lt Patrick Ranalow sont confiés le 13 avril 1944 à Elisée DELAITE, secrétaire communal de Rienne et membre de la Résistance locale, qui les fait placer chez Désiré PAQUAY, à Rienne. DELAITE et le bourgmestre de sa commune, Gabriel MATHIEU, procuraient aux évadés les papiers nécessaires. Gabriel MATHIEU fut arrêté le 26 mai 1944 et est mort en déportation.

Le 15 avril, Désiré PAQUAY reçoit encore Grannum et Quinn, de même que le Lt Louis Rodriguez et qui avaient apparemment tenté un passage (infructueux ?) en France. Le rapport d’évasion du Lt Rodriguez indique que, se trouvant en France, il apprit que la ligne vers l’Espagne étant coupée, on allait le transférer vers la Belgique en vue d’une évacuation vers la Suisse. C’était vraisemblablement ce qui était envisagé également pour Grannum et Quinn.

Revenons aux renseignements que nous avons et émanant du Maquis de Rienne : Désiré PAQUAY confie ces trois hommes (Grannum, Quinn et Rodriguez) à FONTAINE, jusqu’à leur retour chez PAQUAY 10 jours plus tard (donc, par rapport à la date du 15 avril…). Le 26 (ou le 28 ?) avril 1944, PAQUAY, aidé par Roger WARIN, guide Patrick Ranalow, Foster et quatre aviateurs du JB650 : Colin Grannum, Joe Quinn, Ronald Hoare et David Murphy chez ARNOULD à Corbion, tout près de la frontière française, qui les prend en charge de même que Joseph BRASSEUR. Ces évadés passent la frontière quelques jours plus tard dans la camionnette de Paul FRERLET de Corbion et ils se retrouvent à Sedan en France, où ils sont confiés à "CHARENDAL" [Jean Marie CHARDENAL, Rue de la Tour d'Auvergne à Sedan]. Paul FRERLET sera arrêté le 11 août 1944 et reviendra des camps nazis le 4 mai 1945.

Dans son rapport, Louis Rodriguez mentionne qu’un douanier français est venu le chercher, l’a fait passer la frontière à Les Hautes-Rivières (département des Ardennes) pour le confier à des maquisards qui le conduisent à Alle, à 5 km au SE de Vresse-sur-Semois (Ardenne belge), où il rencontre les sergents US Lawson et St John. [Il s’agit des S/Sgts Howard W. Lawson et Benjamin H. StJohn, ce dernier déjà cité ci-dessus - rapport d’évasion Lawson : E&E 2349].

Rodriguez indique qu’ils sont rapidement rejoints par le S/Sgt USAAF John T. Farr et le Lt Eugene Shultz - respectivement mitrailleur droit et pilote du B-17 42-39891 abattu le 2 mars 1944 - ainsi que par deux aviateurs de la RAF, Grannum et Quinn. Rodriguez précise qu’envoyé à Rienne pour discuter avec "Désiré" (= Désiré PAQUAY) de la confection de faux papiers en vue d’un voyage de tous les évadés vers la Suisse, il y rencontre quatre aviateurs de la RAF, dont deux de l’équipage de Grannum, le 3ème étant pilote de Mosquito, le dernier un navigateur sur Halifax (il s’agit de Patrick Ranalow). Il ajoute que ce dernier est parvenu en Suisse et ne rien savoir à propos des autres à part qu’ils avaient au moins atteint Paris par la suite.

Rodriguez signale être resté seul à Willerzie pendant une semaine, logeant chez Maria (la sœur de l’Abbé GRANDJEAN, qui, lui, avait été arrêté le 15 mai 1942 et mourra au camp de Dora le 11 février 1945) ainsi que chez la voisine d’en face, également prénommée Maria. Une fois en possession de tous les faux papiers, Rodriguez retourne à Alle. Le Lt Shultz part immédiatement pour la Suisse (le rapport du S/Sgt Howard Lawson - E&E 2349 renseigne que c’est le 1er mai) et se fera arrêter en route, selon Lawson car ses papiers n’étaient pas suffisamment complétés. Grannum, Quinn, Rodriguez, Lawson, St John et Farr partent le 3 mai 1944 (le rapport de Rodriguez indique erronément le 6 avril…) avec des papiers correctement remplis.

Toujours selon Rodriguez (dont les renseignements tout au long de son rapport sont par ailleurs très précis), information confirmée par Lawson et StJohn, le groupe part à pied en direction de Sedan où un membre de l’Armée Blanche leur achète des billets de train pour Epinal. Le train s’arrête à Nancy où les évadés passent la nuit dans un jardin avant de reprendre un train pour Epinal. Ils passent deux jours dans une maison déserte où un fermier leur apporte à manger. Poursuivant leur route ils arrivent à Vieux Saint-Laurent au Sud d’Epinal où ils rencontrent un gendarme (selon Rodriguez, c’est dans un café ; selon Lawson, c’est au bord de la route). D’après Rodriguez, ce gendarme, père de neuf enfants, avait aidé beaucoup de déserteurs français à échapper à la capture. L’homme leur achète des tickets de train pour Dijon et leur donne une adresse à Annecy, mais comme il n’y a pas de liaison ferroviaire directe entre Dijon et Annecy, il leur achète des billets pour Besançon.

Arrivés à Besançon, Grannum, Quinn, Rodriguez, Lawson, St John et Farr marchent pendant deux jours et demi en direction de la Suisse, s’arrêtant à des fermes sur leur chemin. La traversée est difficile dans ces montagnes des Grandes Combes près de Morteau et il leur faudra 8½ heures pour y arriver. Ils traversent le Doubs à la nage, passant la frontière le 9 mai et s’adressent à la Police à La Chaux-de-Fonds où on les reçoit sans ménagements, les menaçant de les expulser s’ils ne communiquent pas de renseignements militaires. Bien qu’ils refusent d’obtempérer, on leur permet de prendre contact téléphonique avec la légation. Ils passent une nuit au commissariat avant d’être conduits à Neuchâtel pour y être à nouveau interrogés. Le rapport du Sgt StJohn donne davantage de détails sur la suite (manuscrit de son intervieweur difficilement déchiffrable), mais retenons que Rodriguez indique qu’ils sont placés ensuite au "camp des évadés" à Glion, au bord du Lac Léman [vraisemblablement logés à l’"Hôtel des Alpes", cité par le Lt Noble K. Gregory dans son rapport E&E 2180).

Il est confirmé par ailleurs que Quinn est bien arrivé en Suisse le 9 mai 1944. L’avance des troupes américaines dans le Sud de la France décide Quinn et deux autres évadés à tenter de les rejoindre. C’est ainsi que le 27 août, il passe en France en compagnie du W/O Albert Bennett et du Sgt Harry Simister (SPG 3322/2295 – mécanicien à bord du Halifax JD246 abattu lors de la mission sur Berlin du 31 août-1er septembre 1943 – tombé en Allemagne, échappe à la capture et parvient en Suisse à la mi-octobre par ses propres moyens – rejoint les forces américaines en France à la fin août 1944).

Nous n’avons pas de détails pour Colin Grannum depuis son arrivée en Suisse le 9 mai, ni par quel moyen il a été rapatrié en Angleterre, vraisemblablement à la fin du mois d’août 1944. Le 27 mars 1946, il débarque à Kingston du cargo S/S "Tetela", un petit bananier de 1926 appartenant à Elders & Fyffes Ltd (United Fruit Company) et aménagé pendant le conflit pour transporter un petit nombre de passagers.

Grannum a été décoré de la DFC (Distinguished Flying Cross) et il est souvent repris simplement comme C. Grannum ou Colin Grannum. Guy Grannum (généalogiste) a pu nous confirmer que son nom de naissance était Colin Patrick Haworth Eisner. A la mort de ses parents, il a été adopté (peut-être pas officiellement) par Abraham Grannum et son épouse Raby - la tante de Colin - et il a été connu comme Colin Grannum dès ce moment. Selon information de la fille de Grannum à Guy Grannum, Colin serait arrivé au Royaume-Uni en 1939. Il a repris officiellement son nom de Eisner peu après son retour en Jamaïque.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters