Personne passée à une autre ligne d'évasion

Dernière mise à jour le 16 juillet 2022.

Louis RODRIGUEZ ("Lou") / O-462257
611 West 156th Street, New York, New York, USA
Né le 8 septembre 1920 à New York City / † le 29 avril 2013 à Stamford, Connecticut, USA
Lt USAAF 306 Bomb Group/ 368 Bomb Squadron, navigateur
près de Guignicourt-sur-Vence, Ardennes, France.
Boeing B-17G-10-BO Flying Fortress (Forteresse Volante) N° série : 42-31245 «Top Hat»,abattu par un chasseur allemand le 25 février 1944 lors d’une mission sur Augsburg.
Ecrasé à 1km au Sud de La Francheville, 4km SO de Charleville-Mézières, Ardennes, France.
Durée : 7 mois.
Passage en Suisse le 9 mai 1944.

Informations complémentaires :

Rapport de perte d’équipage MACR 2768. Rapport d’évasion E&E 2181, disponible en ligne.

Le B-17 décolle de Thurleigh vers 08h00. Touché par les salves d’un chasseur allemand, un incendie se déclare dans le nez et la soute à bombes et le pilote, Lt James R. Coleman, constate que les commandes du gouvernail ne répondent plus. Il donne l’ordre d’évacuer l’appareil et tous sautent.


L’équipage original du Lt Coleman en 1943 : Devant, de gauche à droite : Wallace L. Benningfield, Oakland V. Bittikofer, Calvin Garrison, Fred Organ et Albert J. Doine.
Debout, de gauche à droite : James Coleman, Oscar Bourn, Louis Rodriguez, Don R. Baltzer et Rex Hayes (la photo provient du site du 306th Bomb Group : http://www.306thbw.org/306thBmbGrp). NB : Benningfield, Bittikofer, Baltzer et Doine ne se trouvaient pas à bord du 42-31245 le 25 février 1944. Albert Doine était à bord du 42-31406 de la même escadrille, abattu trois jours plus tôt lors d’une mission sur Aschersleben, et il a été fait prisonnier lui aussi.

Les 10 membres de l’équipage parviendront d’abord à s’évader, mais seul Louis Rodriguez (la présente fiche) réussira son évasion. Les neuf autres seront arrêtés, certains assez rapidement selon informations reçues de résistants par Rodriguez. Il s’agit du pilote F/O James R. Coleman (arrêté à Paris, passé par la prison de Fresnes, prisonnier au Stalag Luft 3) ; du copilote Lt Oscar R. Bourn (arrêté à Paris en même temps que Coleman - Stalag Luft 3) ; du bombardier S/Sgt Clinton E. Snyder, arrêté à Flize tout comme l’opérateur radio T/Sgt Calvin G. Garrison, du mitrailleur gauche Sgt William Wiersma, du mitrailleur droit Sgt Joseph E. Buckley et du mitrailleur arrière S/Sgt Fred T. Organ. Le mitrailleur ventral, S/Sgt Phillip D. Vaught, lui, est arrêté près de Neuvizy. Nous ignorons où a été arrêté le mitrailleur dorsal T/Sgt Rex L. Hayes. Ces sept derniers ont été internés au Stalag Luft 4.

Louis Rodriguez, dont c’est la 14ème mission, saute à environ 4300m et se coupe dans les doigts avec la sangle de son parachute. Il va se cacher dans un bois, applique un bandage sur sa main blessée et reste là jusqu’au matin du 26 février. Dès son atterrissage il contacte des fermiers locaux et il passe la nuit dans une ferme sur la route d’Yvernaumont à La Sabotterie. Il rapporte que le nom «CYRILE» se trouvait sur la boîte aux lettres.

Le 26 février au matin, Mr MILOT, de Villers-Semeuse près de Charleville-Mézières, membre d’une organisation de la Résistance, vient le chercher et le mène chez lui. Il passe une nuit chez MILOT et le 27, on le conduit chez «GEORGES» le chef du réseau de Charleville-Mézières. Rodriguez y rencontre quatre autres aviateurs américains, un Lt Jack, navigateur d’un B-17 ; un Sgt Joseph, un Lt Fred et un Lt McDonald, tous trois d’un B-17 abattu en Belgique en janvier. Nous avons pu retrouver que ces trois derniers étaient des membres de l’équipage du B-17 n° 42-31436 du 96 Bomb Group/413 Bomb Squadron, abattu par un chasseur le 29 janvier 1944 : T/Sgt Louis Joseph Koren, mitrailleur dorsal, le navigateur Lt Frederick P. Huebner et le Lt Lee McDonald, bombardier. Ils seront arrêtés par la suite et internés respectivement aux Stalags 17B à Braunau, Luft 3 à Sagan et 4B à Muhlberg. Le T/Sgt Koren figure à la liste d’aviateurs aidés par la Ligne Dragon de Willerzie (fondée par l’Abbé Grandjean), tout comme Colin Grannum et Joe Quinn (voir plus bas).

C’est chez «GEORGES» que Rodriguez apprend que son pilote Coleman et son copilote Bourn sont cachés à Charleville-Mézières.

Rodriguez est ensuite mené au quartier Mohon de Charleville-Mézières, dans la maison de Pol VOUCHER, réparateur de radios, où il passe une nuit. Le lendemain on le conduit dans une maison à Le Chesne. Cette maison avait été un hôtel (appelé «Loup Chien du Bois» - sic) et était occupée par un boucher de Mézières, son épouse et leur fille. Rodriguez passe une semaine là, recevant pendant son séjour de l’aide d’un résistant de Mézières, Pierre PETIT.

Le 6 mars, Rodriguez reçoit un mot de son pilote Coleman lui signalant que lui et Bourn et les autres aviateurs qu’il avait rencontré chez «GEORGES» allaient être menés ailleurs par l’organisation. Rodriguez, lui, quitte la maison du boucher et retourne chez Pol VOUCHER, guidé par Pierre PETIT. Il loge trois jours chez VOUCHER et rencontre son mitrailleur dorsal Rex Hayes, qui était caché à La Francheville.

On mène alors Rodriguez dans la maison d’un résistant connu de «GEORGES», un homme marié, père de cinq enfants où il apprend que Coleman y avait séjourné. Il reste là deux jours avant d’être mené au Café de l’Industrie à Mézières. [ Il pourrait s’agir du café du même nom, qui existerait encore, à Les Hautes Rivières, entre Charleville et Villers-Semeuse (?)]. Rodriguez reste deux jours là en compagnie de Rex Hayes avant de déménager chez Mr MILOT à Villers-Semeuse, où il logera pendant huit jours.

Rodriguez retourne chez le résistant connu de «GEORGES» et loge dans cette famille et chez leurs voisins d’à côté pendant une semaine. Le Sgt Hayes l’avait quitté au Café de l’Industrie et Rodriguez apprend de résistants que Hayes avait échappé de peu à la Gestapo et qu’il avait rejoint un groupe de maquisards. Rodriguez n’aura plus jamais de nouvelles de Hayes par la suite, et on lui apprend que Coleman et Bourn ont été arrêtés à Paris. Rodriguez signale dans son rapport qu’il pense que tous les autres aviateurs mentionnés ci-dessus ont été capturés, car on lui parle de 17 évadés interpellés dans la capitale française.

Les aviateurs Roland Hoare et David Murphy du JB650 de Colin Grannum, de même qu’un nommé Foster et le F/Lt Patrick Ranalow sont confiés le 13 avril 1944 à Elisée DELAITE, secrétaire communal de Rienne et membre de la Résistance locale, qui les fait placer chez Désiré PAQUAY, à Rienne. DELAITE et le maire de sa commune, Gabriel MATHIEU, procuraient aux évadés les papiers nécessaires. Gabriel MATHIEU fut arrêté le 26 mai 1944 et est mort en déportation.

Le 15 avril, Désiré PAQUAY reçoit encore Grannum et J. Quinn, de même que le Lt Louis Rodriguez (la présente fiche), et qui avaient apparemment tenté un passage (infructueux ?) en France. Le rapport d’évasion du Lt Rodriguez indique que, se trouvant en France, il apprit que la ligne vers l’Espagne étant coupée, on allait le transférer vers la Belgique en vue d’une évacuation vers la Suisse. C’était vraisemblablement ce qui était envisagé également pour Grannum et Quinn.

Revenons aux renseignements que nous avons et émanant du Maquis de Rienne : Désiré PAQUAY confie ces trois hommes (Rodriguez, Quinn et Grannum) à FONTAINE, jusqu’à leur retour chez PAQUAY 10 jours plus tard (donc, par rapport à la date du 15 avril…). Le 26 (ou le 28 ?) avril 1944, Désiré PAQUAY, aidé par Roger WARIN, guide Patrick Ranalow, Foster et quatre aviateurs du JB650 : Joe Quinn, Colin Grannum, Ronald Hoare et David Murphy chez Joseph ARNOULD, garde forestier à Bellevaux et habitant à Corbion, tout près de la frontière française, qui les prend en charge de même que Joseph BRASSEUR. Ces évadés passent la frontière quelques jours plus tard dans la camionnette de Paul FRERLET de Corbion et ils se retrouvent à Sedan en France, où ils sont confiés à «CHARENDAL». Paul FRERLET sera arrêté le 11 août 1944 et reviendra des camps nazis le 4 mai 1945.

Dans son rapport, Louis Rodriguez mentionne qu’un douanier français est venu le chercher, l’a fait passer la frontière à Les Hautes-Rivières (département des Ardennes) habillé en policier des Douanes, pour le confier à des maquisards qui le conduisent à Alle, à 5km au SE de Vresse-sur-Semois (Ardenne belge), où il rencontre les sergents US Lawson et St John. (Il s’agit des S/Sgts Howard W. Lawson et Benjamin H. StJohn, respectivement E&E 2349 et 2350 – à bord du B-17 42-31040 abattu le 29 janvier 1944, celui de Meyles Sheppard et Frank Paisano).

Rodriguez indique qu’ils sont rapidement rejoints par le S/Sgt USAAF John T. Farr et le Lt Eugene Shultz - respectivement mitrailleur droit et pilote du B-17 42-39891 abattu le 2 mars 1944 - ainsi que par deux aviateurs de la RAF, Grannum et Quinn. Dans un article d’avril 1993 dans la publication "Echoes" du 306th Bomb Group, Rodriguez indique que Grannum et Quinn étaient déjà en possession de cartes de travail françaises, indispensables pour voyager en France. Il apprend des deux aviateurs de la RAF qu’ils ont obtenu ces documents de "Désiré" à Rienne et c’est en compagnie de Grannum et de Quinn que Rodriguez fait le voyage en tram d’Alle à Rienne où ils rencontrèrent Désiré PAQUAY, sa femme et leur fille de 11 ans. Il ajoute que les PAQUAY leur ont offert l’hospitalité pendant une semaine, à la fin de laquelle Désiré leur a remis cinq cartes de travail en règle. Selon l’article, se trouvaient également chez les PAQUAY durant ce séjour les aviateurs Ben StJohn et Howard Lawson cités plus haut.

Dans son rapport, Rodriguez signale avoir également rencontré quatre aviateurs de la RAF, dont deux de l’équipage de Grannum, le 3ème étant pilote de Mosquito, le dernier un navigateur sur Halifax (il s’agit de Patrick Ranalow). Il ajoute que ce dernier est parvenu en Suisse et ne rien savoir à propos des autres à part qu’ils avaient au moins atteint Paris par la suite.

Dans son rapport, Rodriguez ne mentionne pas un séjour d’une semaine chez Désiré PAQUAY. Il y signale être resté seul à Willerzie pendant une semaine dans l’attente de faux papiers, logeant chez Maria (la sœur de l’Abbé GRANDJEAN, qui, lui, avait été arrêté le 15 mai 1942 et mourra au camp de Dora le 11 février 1945) ainsi que chez la voisine d’en face, également prénommée Maria. Une fois en possession de tous les faux documents, Rodriguez retourne à Alle. Le Lt Shultz part immédiatement pour la Suisse (le rapport du S/Sgt Howard Lawson – E&E 2349 renseigne que c’est le 1er mai) et se fera arrêter en route, selon Lawson car ses papiers n’étaient pas suffisamment complétés. Rodriguez, Lawson, St John, Farr, Quinn et Grannum partent le 3 mai 1944 avec des papiers correctement remplis.

Toujours selon Rodriguez (dont les renseignements tout au long de son rapport sont par ailleurs très précis), information confirmée par Lawson et StJohn, le groupe part à pied en direction de Sedan où un membre de l’Armée Blanche leur achète des billets de train pour Epinal. Le train s’arrête à Nancy où les évadés passent la nuit dans un jardin avant de reprendre un train pour Epinal. Ils passent deux jours dans une maison déserte où un fermier leur apporte à manger. Poursuivant leur route ils arrivent à Vieux Saint-Laurent au Sud d’Epinal où ils rencontrent un gendarme (selon Rodriguez, c’est dans un café ; d’après Lawson, c’est au bord de la route). Rodriguez mentionne que ce gendarme, père de neuf enfants, avait aidé beaucoup de déserteurs français à échapper à la capture. L’homme leur achète des tickets de train pour Dijon et leur donne une adresse à Annecy, mais comme il n’y a pas de liaison ferroviaire directe entre Dijon et Annecy, il leur procure finalement des billets pour Besançon.

Arrivés à Besançon, Rodriguez, Lawson, St John, Farr, Quinn et Grannum marchent pendant deux jours et demi en direction de la Suisse, s’arrêtant à des fermes sur leur chemin. La traversée est difficile dans ces montagnes des Grandes Combes près de Morteau et il leur faudra 8½ heures pour y arriver. Ils traversent le Doubs à la nage, passant la frontière le 9 mai, et s’adressent à la Police à La Chaux-de-Fonds où on les reçoit sans ménagements, les menaçant de les expulser s’ils ne communiquent pas de renseignements militaires. Bien qu’ils refusent d’obtempérer, on leur permet de prendre contact téléphonique avec la légation. Ils passent une nuit au commissariat avant d’être conduits à Neuchâtel pour y être à nouveau interrogés. Rodriguez indique qu’il a remis un rapport écrit à l’Attaché militaire de Berne le 11 mai 1944. Le rapport du Sgt StJohn donne davantage de détails sur la suite (manuscrit de son intervieweur difficilement déchiffrable), mais retenons que Rodriguez indique qu’ils sont placés ensuite au «camp des évadés» à Glion, au bord du Lac Léman [vraisemblablement logés à l’«Hôtel des Alpes », cité par le Lt Noble K. Gregory dans son rapport E&E 2180).

Dans son rapport, le Lt John Zolner renseigne qu’il dut attendre le 2 septembre avant de partir en taxi (il n’indique ni le lieu de départ ni celui d’arrivée) avec le Lt «RODRIQUES» (= le Lt Louis Rodriguez de la présente fiche), le Lt. H. S. «McCONNELL» (le rapport d’évasion E&E 2181 de Rodriguez mentionne «Hugh S. McCollum», celui de Gregory «Mac Callum»… aucun E&E retrouvé), le Sgt «Thomas» FARR (= John T. Farr mitrailleur droit du 42-39891 – E&E 2179) et le Lt Gregory (= Lt Noble K. Gregory, E&E 2180). Le rapport de Louis Rodriguez précise que le chauffeur de taxi était Marius PERNET, de Glion, qui avait également aidé d’autres évadés et qu’il les a conduit jusque Genève où un autre chauffeur de taxi connu de PERNET a fait passer la frontière aux aviateurs.

Zolner indique dans son rapport qu’après leur voyage en taxi ils ont marché et traversé la frontière pour arriver à Saint-Julien (Saint-Julien-en-Genevois, côté français, à 10 km au Sud de Genève) où ils sont restés jusqu’au 4 septembre. Pris en charge par des résistants, ils sont transportés jusqu’à Grenoble où ils se présentent au Quartier Général de la 7ème Armée US.

Toujours selon Zolner, de Grenoble, les hommes sont envoyés le 5 septembre vers un centre d’évacuation dans un hôtel de «St Maxim» (Sainte-Maxime, dans le Var, près de Saint-Tropez). Pour ce qui est de Rodriguez, son rapport mentionne qu’il est parti par avion de Casablanca le 17 septembre 1944 à destination de l’Angleterre.

Après la guerre, Rodriguez servira comme navigateur dans le Military Airlift Command. Il volera dans des missions de ravitaillement lors de la guerre du Viet-Nam et prendra sa retraite de l’US Air Force en fin mai 1970 avec le grade de Major.

Louis Rodriguez et son épouse Rita en visite en Belgique en 1978 rendront visite à Désiré PAQUAY et son épouse. Les Rodriguez profiteront de leur retour en Europe en 1992 à l’occasion d’une réunion de vétérans du 306th Bomb Group en Angleterre pour faire un saut en Belgique. Ils auront ainsi à nouveau l’occasion de rencontrer Désiré PAQUAYà Rienne. La photo ci-dessous montre Désiré à gauche et Louis Rodriguez à cette occasion. Désiré PAQUAY, né le 28 novembre 1906 à Vencimont, est décédé à Rienne le 24 février 2001. Décédé en 2013, Louis Rodriguez repose au Willowbrook Cemetery à Westport, Connecticut, auprès de son épouse Rita (1927-2016).


Désiré PAQUAY et Louis RODRIGUEZ à Rienne en 1992.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters