Personne passée à une autre ligne d'évasion

Dernière mise à jour le 11 janvier 2016.

John QUINN / 1345078
12 Langside Place, Kilbirnie, Ayrshire, Ecosse, Royaume-Uni
Né le ? à ? / †
F/Sgt RAF Bomber Command 12 Squadron,
dans la région de Sougné-Remouchamps, Province de Liège, Belgique.
A.V. Roe Lancaster MkIII, JB650, PH-E, perdu lors de la mission du 27-28 janvier 1944 sur Berlin.
Ecrasé entre Gomzé et Andoumont, à environ 13km au sud-ouest de Verviers, Province de Liège, Belgique.
Durée : 7 mois.
En Suisse du 9 mai au 27 août 1944.

Informations complémentaires :

Rapport d’évasion SPG 3324/2595, commun à lui et à son pilote, Colin Grannum.

Le Lancaster décolle de Wickenby à 17h16 et, pour une raison inconnue, s’écrase près de Gomzé-Andoumont. Le mitrailleur Ken Singleton, d’abord évadé, semble avoir été arrêté (prisonnier n° 3210 au Stalag 257) en même temps que le mitrailleur arrière, le Sgt H. Owen, vu que ce dernier porte le n° de prisonnier 3211 au même Stalag 357. Le P/O David Raymond Murphy, Irlandais du Nord, sera arrêté le 12 mai 1944 à Tarbes, Hautes-Pyrénées, France (prisonnier N° 1159 au Stalag Luft 1).

Nous apprenons de Monsieur Albert Lagasse en janvier 2016, dans une lettre que son grand-père, Nicolas LAGASSE, habitant le hameau de Sècheval (Sougné-Remouchamps) avait adressé le 12 novembre 1945 aux autorités, quelques détails concernant les premiers jours de l’évasion de John Quinn. Il s’avère qu’Alphonse LAGASSE, frère cadet de Nicolas, travaillant dans le bois à "la Heid derrière les bois", a vu dans l’après-midi du 28 janvier un aviateur s’approcher de lui. Il le ramena chez lui, le restaura et échangea son équipement de vol contre des vêtements appartenant à son fils Jules. Ce dernier vivait avec son père à Aywaille avant son départ pour l’Angleterre le 1er juin 1942. L’aviateur, qui n’était autre que John Quinn passa la soirée à discuter avec Alphonse, s’aidant d’un petit dictionnaire (vraisemblablement le lexique anglais-français de son kit d’évasion) et lui racontant la mission et la manière dont elle s’était terminée.

Quinn donna son adresse à Alphonse, mais, par précaution, il refusa de noter l’adresse de ce dernier. Quinn, qui voulait regagner l’Angleterre via l’Espagne, refusa la proposition d’Alphonse de rester loger chez lui jusqu’à la libération. Il ne resta qu’une nuit chez LAGASSE et au matin du 29, Quinn, revêtu des habits du fils et chaussé de bottines neuves, fut conduit par Alphonse vers le village d’Awan (Aywaille), passant devant la maison de son frère Nicolas LAGASSE, 19 rue de la Reffe à Sougné-Remouchamps. Il semblait prévu que Quinn retrouverait à Awan ceux parmi ses co-équipiers qui n’avaient pas été arrêtés, le but étant de les conduire en auto à Namur. Avant de se quitter, Alphonse LAGASSE avait convenu avec Quinn que dès que ce dernier serait rentré en Angleterre, le message "Le forgeron est bien arrivé" serait diffusé par la BBC de manière à rassurer. Ce message ne fut jamais transmis.

Dans sa lettre de 1945, Nicolas Lagasse ajoute que son frère Alphonse fut arrêté le 19 juillet 1944 par la Feldgendarmerie de Liège, qu’il fut incarcéré à la Prison de Saint-Léonard (Liège) et fut envoyé en Allemagne avant la Libération. Alphonse LAGASSE, prisonnier n° 45603, est mort le 30 octobre 1944 au camp de concentration Hauptlager KZ Neuengamme. La lettre de son frère Nicolas indique que peu avant l’envoi de sa lettre (automne 1945) son neveu et lui avaient retrouvé les bottes de John Quinn dans une dépendance de la ferme, et l’adresse de Quinn cachée sous le tapis de la cuisine…


Alphonse LAGASSE – 15.2.1891 – 30.10.1944 (photo http://www.bel-memorial.org)

Nous supposons donc que le projet d’amener Quinn et d’autres membres de son équipage à Namur, au moins Grannum, a réussi et qu’au moins ces deux-là réussirent à rejoindre la région de Willerzie, près de la frontière française.

En effet, tout comme Grannum, John Quinn figure dans la liste des aviateurs venant de la Résistance liégeoise et aidés par la Ligne Dragon (fondée en 1941 par l’Abbé Jules GRANDJEAN de Willerzie, aidé par sa sœur Marie). Un rapport de la Ligne Dragon/Comète indique que les deux hommes ont été cachés au presbytère de Willerzie. On y signale également que Quinn et Grannum ont été logés chez «Paquet et Bruck». Il s’agit de Désiré PAQUAY et d’Émile BRUCK et son fils André, tous deux brigadiers forestiers à Willerzie.

Roland Hoare et David Murphy du JB650 de Quinn, de même qu’un nommé Foster et le F/Lt Patrick Ranalow sont confiés le 13 avril 1944 à Élisée DELAITE, secrétaire communal de Rienne et membre de la Résistance locale, qui les fait placer chez Désiré PAQUAY, à Rienne. DELAITE et le maire de sa commune, Gabriel MATHIEU, procuraient aux évadés les papiers nécessaires. Gabriel MATHIEU fut arrêté le 26 mai 1944 et est mort en déportation.

Le 15 avril, Désiré PAQUAY reçoit encore Quinn et son pilote Grannum, de même que le Lt Louis Rodriguez et qui avaient apparemment tenté un passage (infructueux ?) en France. Le rapport d’évasion du Lt Rodriguez indique que, se trouvant en France, il apprit que la ligne vers l’Espagne étant coupée, on allait le transférer vers la Belgique en vue d’une évacuation vers la Suisse. C’était vraisemblablement ce qui était envisagé également pour Quinn et Grannum.

Revenons aux renseignements que nous avons et émanant du Maquis de Rienne : Désiré PAQUAY confie ces trois hommes (Quinn, Grannum et Rodriguez) à FONTAINE, jusqu’à leur retour chez PAQUAY 10 jours plus tard (donc, par rapport à la date du 15 avril…). Le 26 (ou le 28 ?) avril 1944, ce dernier, aidé par Roger WARIN, guide Patrick Ranalow, Foster et quatre aviateurs du JB650 : John Quinn, Colin Grannum, Ronald Hoare et David Murphy chez ARNOULD à Corbion, tout près de la frontière française, qui les prend en charge de même que Joseph BRASSEUR. Ces évadés passent la frontière quelques jours plus tard dans la camionnette de Paul FRERLET de Corbion et ils se retrouvent à Sedan en France, où ils sont confiés à "CHARENDAL". Paul FRERLET sera arrêté le 11 août 1944 et reviendra des camps nazis le 4 mai 1945.

Dans son rapport, Louis Rodriguez mentionne qu’un douanier français est venu le chercher, l’a fait passer la frontière à Les Hautes-Rivières (département des Ardennes) pour le confier à des maquisards qui le conduisent à Alle, à 5km au SE de Vresse-sur-Semois (Ardenne belge), où il rencontre les sergents US Lawson et St John. (Il s’agit des S/Sgts Howard W. Lawson et Benjamin H. StJohn, respectivement E&E 2349 et 2350 – à bord du B-17 42-31040 abattu le 29 janvier 1944, celui de Meyles Sheppard et Frank Paisano).

Rodriguez indique qu’ils sont rapidement rejoints par le S/Sgt USAAF John T. Farr et le Lt Eugene Shultz - respectivement mitrailleur droit et pilote du B-17 42-39891 abattu le 2 mars 1944 - ainsi que par deux aviateurs de la RAF, Quinn et Grannum. Rodriguez précise qu’envoyé à Rienne pour discuter avec "Désiré" (Désiré PAQUAY) de la confection de faux papiers en vue d’un voyage de tous les évadés vers la Suisse, il y rencontre quatre aviateurs de la RAF, dont deux de l’équipage de Grannum, le 3ème étant pilote de Mosquito, le dernier un navigateur sur Halifax (il s’agit de Patrick Ranalow). Il ajoute que ce dernier est parvenu en Suisse et ne rien savoir à propos des autres à part qu’ils avaient au moins atteint Paris par la suite.

Rodriguez signale être resté seul à Willerzie pendant une semaine, logeant chez Maria (la sœur de l’Abbé GRANDJEAN, qui, lui, avait été arrêté le 15 mai 1942 et mourra au camp de Dora le 11 février 1945) ainsi que chez la voisine d’en face, également prénommée Maria. Une fois en possession de tous les faux papiers, Rodriguez retourne à Alle. Le Lt Shultz part immédiatement pour la Suisse (le rapport du S/Sgt Howard Lawson – E&E 2349 renseigne que c’est le 1er mai) et se fera arrêter en route, selon Lawson car ses papiers n’étaient pas suffisamment complétés. Quinn, Grannum, Rodriguez, Lawson, St John et Farr, partent le 3 mai 1944 (le rapport de Rodriguez indique erronément le 6 avril…) avec des papiers correctement remplis.

Toujours selon Rodriguez (dont les renseignements tout au long de son rapport sont par ailleurs très précis), information confirmée par Lawson et StJohn, le groupe part à pied en direction de Sedan où un membre de l’Armée Blanche leur achète des billets de train pour Epinal. Le train s’arrête à Nancy où les évadés passent la nuit dans un jardin avant de reprendre un train pour Epinal. Ils passent deux jours dans une maison déserte où un fermier leur apporte à manger. Poursuivant leur route ils arrivent à Vieux Saint-Laurent au Sud d’Epinal où ils rencontrent un gendarme (selon Rodriguez, c’est dans un café ; selon Lawson, c’est au bord de la route). D’après Rodriguez, ce gendarme, père de neuf enfants, avait aidé beaucoup de déserteurs français à échapper à la capture. L’homme leur achète des tickets de train pour Dijon et leur donne une adresse à Annecy, mais comme il n’y a pas de liaison ferroviaire directe entre Dijon et Annecy, il leur procure finalement des billets pour Besançon.

Arrivés à Besançon, Quinn, Grannum, Rodriguez, Lawson, St John et Farr marchent pendant deux jours et demi en direction de la Suisse, s’arrêtant à des fermes sur leur chemin. La traversée est difficile dans ces montagnes des Grandes Combes près de Morteau et il leur faudra 8½ heures pour y arriver. Ils traversent le Doubs à la nage, passant la frontière le 9 mai et s’adressent à la Police à La Chaux-de-Fonds où on les reçoit sans ménagements, les menaçant de les expulser s’ils ne communiquent pas de renseignements militaires. Bien qu’ils refusent d’obtempérer, on leur permet de prendre contact téléphonique avec la légation. Ils passent une nuit au commissariat avant d’être conduits à Neuchâtel pour y être à nouveau interrogés. Le rapport du Sgt StJohn donne davantage de détails sur la suite (manuscrit de son intervieweur difficilement déchiffrable), mais retenons que Rodriguez indique qu’ils sont placés ensuite au "camp des évadés" à Glion, au bord du Lac Léman [vraisemblablement logés à l’"Hôtel des Alpes", cité par le Lt Noble K. Gregory dans son rapport E&E 2180).

Il est confirmé par ailleurs que Quinn est bien arrivé en Suisse le 9 mai 1944. L’avance des troupes américaines dans le Sud de la France décide Quinn et deux autres évadés à tenter de les rejoindre. C’est ainsi que le 27 août, il passe en France en compagnie du W/O Albert Bennett et du Sgt Harry Simister (SPG 3322/2295 – mécanicien à bord du Halifax JD246 abattu lors de la mission sur Berlin du 31 août-1er septembre 1943 – tombé en Allemagne, échappe à la capture et parvient en Suisse à la mi-octobre par ses propres moyens – rejoint les forces américaines en France à la fin août 1944).

John Quinn quitte la France par avion le 4 septembre et arrive le même jour à Hendon en Angleterre.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters