Personne cachée jusqu'à la libération

Dernière mise à jour le 20 janvier 2023.

Joseph William LINCOLN ("Bill") / O-358341
163 Congress Street, Bradford, Pennsylvanie, USA.
Né le 25 septembre 1915 à Gifford, Pennsylvanie / † le 14 septembre 2002.
Capt, USAAF 305 Bomber Group 366 Bomber Squadron, pilote.
Lieu d'atterrissage : resté aux commandes de l'avion, atterrissage forcé dans le champ de M. et Mme CHAUDERLIER, près de Leuze, Aisne, France.
Boeing B-17G-30-BO Flying Fortress, 42-31816, KY-V, touché puis abattu par la chasse allemande le 24 avril 1944 lors d'une mission sur Oberpfaffenhofen/Munich.
atterrissage forcé près de Leuze, Aisne, France.
Durée : 4 1/2 mois.
Camps : Bellevaux, Acremont.

Informations complémentaires :

Rapport de perte d'équipage MACR 4275. / Rapport d'évasion : E&E 1919 disponible en ligne.

Attaqué par une nuée de chasseurs à l'approche de la cible, un moteur de l'appareil est endommagé. L'avion poursuit sa route, lâche ses bombes sur l'objectif et prend le chemin du retour. Également atteint légèrement par des tirs de la Flak dont un obus blesse le mitrailleur droit Bergman, l’appareil poursuit son vol, mais, manquant de puissance, il perd de l'altitude et se fait distancer par le gros de la formation. Ne pouvant bénéficier de l'appui des chasseurs d'escorte requis par le reste de la formation, le pilote décide néanmoins de tenter de rejoindre la base à Chelveston. Vers 17h00, alors que l'appareil survole la campagne belge à basse altitude, un Fw190 l'attaque à hauteur de Mont-Saint-Jean, détruisant l'interphone. Le navigateur, Phillip S. Campbell et le mitrailleur latéral droit William E. Bergman sautent en parachute. Peu après, le chasseur allemand fait une deuxième passe et endommage sérieusement l'avion qui prend feu. Le mitrailleur latéral gauche Eugene C. Snodgrass, le mitrailleur de queue Virgil R. Marco et le sergent James Mayfield, mitrailleur ventral, quittent à leur tour l'appareil. James Maple Mayfield, 27 ans, dont le parachute ne se déploie pas entièrement, est sérieusement blessé. Il est immédiatement capturé par les Allemands. D’abord soigné à l’hôpital de Hirson, il fut transféré à l’Hôpital militaire de Reims où, après amputation de ses deux jambes, il décéda le 19 juin 1944. Initialement inhumés au Cimetière-Ouest à Reims, ses restes ont été rapatriés aux États-Unis en décembre 1948 où ils reposent à Owensboro, Kentucky.

Quatre hommes restent à bord de l'appareil en perdition : Lincoln, le copilote Albert N. Pagnotta, le bombardier Milton Goldfeder et le mitrailleur dorsal Joseph A. Rhodes.

Lincoln réussit un atterrissage forcé près de Leuze, en France. Les hommes constatent alors que l'un des leurs, l’opérateur radio T/Sgt Isaac William Denemy, est mort à bord de l'appareil, touché au ventre par les balles du Fw190. Selon le rapport MACR, l’avion avait heurté un poteau électrique, provoquant le bris d’une aile et des fuites de carburant et dès son atterrissage, Bill Lincoln a sorti le corps d’Isaac Demeny de l’appareil et a ensuite mis le feu à son B-17 au moyen du pistolet de signalisation Very. Isaac Denemy, de River Rouge, Wayne County, Michigan, né en septembre 1909, a été inhumé au cimetière communal de Leuze le 26 avril 1944 (selon le rapport allemand KU-1615). En 1950, ses restes ont été rapatriés aux États-Unis où ils reposent au Brookside Cemetery à Charlevoix, Michigan.

Lincoln, Pagnotta, Goldfeder et Rhodes marchent pendant environ 4km et vont se cacher dans un petit bois au nord de Leuze. Ils y sont trouvés très rapidement par Julien MAHOUDEAUX, fermier et maire de Leuze. Approvisionnés pendant treize jours par MAHOUDEAUX, ils restent dans leur cachette de la Forêt de Saint-Michel. Julien MAHOUDEAUX leur procure également des vêtements civils avant qu'ils se dirigent vers Rocroi le 8 mai. Là, ils sont cachés par un autre français qui les nourrit pendant quelques jours avant qu'ils soient menés à Revin, entre Rocroi et Fumay, près de la frontière belge, chez Robert CHARTON, chef de la résistance locale, qui les prend en charge pendant 5 jours. Le 16 mai les voit arriver au maquis des Manises, à Revin.

Le 12 juin dans l’après-midi, Goldfeder, Lincoln, Pagnotta et Rhodes, cachés dans les bois de Revin avec environ 300 résistants, sont attaqués par environ 2.000 SS et 1.000 miliciens de Vichy. La bataille du Maquis de Manise dure trois jours et 106 maquisards sont tués, soit lors des combats, soit exécutés comme prisonniers et jetés dans des fosses communes. Les Allemands ont par ailleurs saccagé et entièrement vidé la maison de CHARTON le 12 juin. Les maquisards survivants et nos quatre aviateurs peuvent échapper au massacre. Le 12 juin, Rhodes et Peter Clark (de l'équipage de Chester Hincewicz) avaient quitté le maquis à pied en direction de la Belgique. Revenus en France, ils passent par Sedan, Remilly-Aillicourt, Angecourt, repassent par Sedan pour y prendre le train de Nancy. Ils descendent à Conflans-en-Jurvisy puis sont guidés jusqu’à Ménonville d'où ils sont conduits en camion à Mirécourt et sont libérés le 3 septembre par des troupes américaines. (Rhodes = E&E 1701, Clark = E&E 1674).

Quant à Goldfeder et Lincoln, le 16 juin, ils quittent également le maquis de Revin. Pagnotta ne les accompagne pas et sera hébergé à Oignies jusqu’au 3 septembre. Parti de là à pied vers Couvin, il y sera libéré le même jour par des troupes américaines – E&E 1920. Traversant plusieurs villages Lincoln et Goldfeder y sont cachés par des helpers français et belges. Dans son dossier de Helper, le comptable Nestor HALIN de Herbeumont, mentionne de l’aide apportée à Lincoln, Goldfeder, Peter Clark, Rhodes et 2 autres aviateurs parmi les dizaines qu’il déclare avoir aidé en tant que chef de secteur ("Buckmaster","Prosper", "Tergal") en zone frontalière. Il ne peut nommer que ces six-là, sa liste avec tous les noms ayant dû être détruite par lui, suite au danger d’arrestation. Il déclare avoir reçu en juin 1944, Lincoln et Goldfeder d’Ernest GATELIER (d’Assenois-Offagne) et qu’il les a remis à Albert MAURY, de Sart-Jehonville, sans autres détails.

Vers la mi-août Lincoln et Goldfeder se trouvent dans une école entre Bastogne et Libramont et voient y arriver Charles Earnhart et Harvey Cox avec lesquels ils partagent une grange à foin pour la nuit. Le surlendemain, les aviateurs reçoivent la visite du Baron "de Futlare" (le Baron Charles du FONTBARRÉ, Château de Fumal), agent de liaison de Comète pour les camps Marathon - Service de Daniel ANCIA. Un grand blond barbu aux yeux bleus, le baron dirigeait un hôtel dans un village voisin et qui servait de QG au réseau. Ce soir-là, il invite Cox et Earnhart pour un repas à l'hôtel où les convives sont surtout des agents de la Gestapo et des résistants chargés de les surveiller, Lincoln et Goldfeder étant prévus pour le même programme le lendemain. Le jour suivant, arrivent d'autres aviateurs parmi lesquels : Paul Kasza, Lloyd Hermanski, Ronald Dawson, James Sherwood et Eric Mallet, ce dernier étant tout heureux d'entendre Earnhart lui dire que son co-équipier Sweatman est parvenu à s'évader et est lui aussi entre les mains de la Résistance.

Le lendemain vers 04h00 on dit aux aviateurs qu'ils doivent quitter leur cachette vu le danger de patrouilles allemandes et ils suivent un garçon de 15 ans jusqu'à une ferme appartenant à un sergent de l'Armée Blanche. Ils passent la nuit dans une grange et ne peuvent retourner à l'école que le lendemain soir. Une nouvelle alerte les oblige à retourner à la ferme et le lendemain vers 10h00, leur guide leur apporte à déjeuner et leur dit qu'ils devront se diriger vers une meilleure cachette proche de la frontière française. Le soir venu, accompagnés d'un prêtre (le Père Georges ARNOULD), leur marche commence dans une obscurité totale, à travers la campagne et des forêts jusqu'à ce qu'ils arrivent à proximité de leur futur asile. Après une nuit passée en forêt, ils atteignent finalement le camp d'Acremont-Luchy où Earnhart retrouve Tarleton, et Irwin revoit Sweatman pour la première fois depuis la chute de leur avion. D'autres aviateurs se trouvent déjà dans le camp et parmi eux Frederick Tuttle, Edward Barton, Frank Robertson, Walter Western, Carmen Vozzela et Ray Davis.

La première cabane du camp, construite pour une dizaine d'aviateurs ne suffit pas et les jours suivants, les hommes construisent d'autres abris, un coin "cuisine" (avec les cuistots Sweatman et Vozzella), aménagent un garde-manger et un endroit près du ruisseau pour faire la vaisselle et leur toilette. Un jour arrive Gaston MATTHYS, échappé de Bruxelles vu les risques d'arrestation. Après trois ou quatre jours, l'ordre arrive pour la vingtaine d'aviateurs de quitter ce camp pour faire de la place pour de nouveaux arrivants. Parmi ceux-ci, Earnhart se rappelle seulement un pilote de P-38 [vraisemblablement Leroy Hokinson"] et un pilote de P-51.

Leur étape suivante est un camp près de Neufchâteu (La Cornette) au sommet d'une colline juste au Nord de la Semois, tout près de Bellevaux et où Gaston les accompagne. Ils y construisent une cabane suffisamment grande pour les loger tous, de même qu'un réfectoire et un WC. Des villageois leur apportent de la nourriture et des nouvelles du front et les hommes sentent leur libération proche. De violents combats s'engagent à quelque distance du camp entre les forces allemandes et les maquisards. Gaston revient un jour du village avec des échos de la présence de troupes blindées américaines à Sedan. Un soir, un des villageois qui leur apportait régulièrement de la nourriture arrive avec un soldat du Commonwealth - Earnhart le décrit comme un " Punjab en uniforme britannique " - un homme de corpulence énorme, échappé d'une colonne de prisonniers escortée vers l'Allemagne par des soldats allemands en retraite, dont l'un d'entre eux accepta de fermer les yeux en échange d'un bâton de chocolat proposé par le prisonnier. Dans son récit, retranscrit par sa nièce Joyce, il le nomme "Ahmed Mahemett" d'origine arabe [Il pourrait donc s'agir du Mouhammad Saleh repris dans une liste des évadés Marathon/Ardennes et au sujet duquel rien n'avait pu être trouvé...] L'homme se révéla être un élément de poids pour aider au parachèvement des installations du camp.

Après quelques jours, le bruit des mitraillades se rapprochant, les hommes s'attendent à être incessamment libérés et le 8 septembre, Gaston MATTHYS, parti au village depuis quelques jours et qu'ils craignaient avoir été abattu, apparaît à l'entrée du camp, les mains en l'air, suivi par un soldat baïonnette au fusil... A cette vue, les évadés s'encourent dans toutes les directions, jusqu'à ce que le soldat leur crie que lui et ses compagnons sont des Américains de la 5e Division Blindée... et c'est la délivrance.

Les 22 aviateurs du camp sont transférés en camion vers Paris avec des prisonniers allemands et comme Lincoln avait servi dans la 5e DB avant de s'engager dans l'US Air Force, son transfert ainsi que celui de Goldfeder vers Londres a pu être accéléré.

Joseph Lincoln, qui termina sa carrière dans l'USAF comme lieutenant-colonel, est enterré au Willowdale Cemetery à Bradford, Pennsylvanie.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters